A l'occasion de la sortie de la nouvelle édition du livre "Réussir son entretien d'embauche", 2 articles d'Yves ont été publiés, l'un sur Les Echos et l'autre sur Le Journal du Net :
Les Echos du 11 octobre 2017 :
Dédramatiser l’entretien d’embauche
L'entretien de recrutement est souvent perçu comme un combat inégal entre le recruteur et le candidat. Détrompez-vous : les deux protagonistes sont rongés par leurs inquiétudes.
On pense souvent que, dans cet exercice, le combat est inégal. Il y aurait d’un côté, un recruteur dominateur, muni d’un scanner surpuissant auquel rien n’échapperait et, de l’autre côté, un candidat affaibli dès le démarrage par cet examen de passage qui va peut-être décider de son sort…
Vision caricaturale, certes, mais si souvent révélée par l’inquiétude des candidats. Une inquiétude qu’il faut comprendre en commençant par s’interroger sur ce qui l’alimente.
La faiblesse du candidat. Il me semble qu’il y a 2 raisons. D’une part, le fait que le recruteur possède le CV du candidat. Ce qui met ce dernier dans une sorte de mise à nu a priori de son profil, de son parcours, de sa situation, de ses faits et gestes depuis sa naissance… Faut-il ajouter que la mécanisation numérique des embauches (lecture préalable de l’offre des candidats sur les réseaux, screening des CV, etc.) n’arrange guère la position du recruteur aux yeux du candidat ! De sorte que celui-ci se sent, inévitablement, exposé à tous les vents, aux questions les plus improbables qui pourraient lui être posées et auxquelles il lui faudrait répondre par anticipation…
D’autre part, l’impréparation relationnelle des candidats à ce type d’entretien. Ce qui les met forcément dans la position inférieure de celui qui va devoir subir un interrogatoire du genre : « que faisiez-vous exactement dans la nuit du… ? » Si bien que, dès le démarrage de l’entretien, le candidat est comme aux aguets, contraint à adopter une attitude empruntée, bien lourde à porter…
La faiblesse du recruteur. Deux raisons qui s’autoalimentent et empêchent le candidat de voir que le recruteur est, dans le même temps, rongé par une autre inquiétude tout aussi paralysante : ne pas se tromper ! Durant tout l’entretien, il s’interroge : « ce candidat possède-t-il les bonnes compétences, a-t-il vraiment l’expérience qu’il prétend avoir, quel est le degré de sa motivation pour ce poste, a-t-il cette personnalité équilibrée, capable de s’insérer au sein d’une équipe tendue, ai-je tout perçu de ses richesses et de ses manques…? Et puis lui ai-je bien dit tout ce qu’il y avait à dire sur les risques du défi à relever, ai-je été clair quant au contexte difficile de ce poste ? Bref, ai-je toutes les informations pour affirmer être devant la meilleure offre… ? »
Autant de questions qui devraient calmer l’inquiétude du candidat si celui-ci se les était posées… Car être conscient de ce qu’attend l’autre est le meilleur moyen de reprendre confiance en soi avec, du coup, un objectif précis : l’éclairer sur tous les points supposés de son inquiétude.
J’ajoute que le bon recruteur ne cherche jamais à jouer avec l’inquiétude a priori du candidat ; il sait que cela va le desservir. Il préfère de loin avoir devant lui un candidat qui sait s’y prendre : qui sait par exemple l’inviter de façon subtile, dès le démarrage de l’entretien, à reformuler l’offre avec un peu de chair pour dépasser le descriptif conceptuel et squelettique du poste ; qui sait utiliser les outils d’une écoute curieuse et active afin d’enrichir sa besace de bons arguments pour appuyer sa candidature ! Ne dit-on pas que l’intelligence interroge tandis que la bêtise répond…?
L’entretien d’embauche n’est décidément pas ce « combat » fantasmatique avec un vainqueur et un vaincu. Il est plutôt à envisager comme une relation à construire, exigeant un effort mutuel d’empathie auquel il faut se préparer, scrupuleusement.
Ce piège qui peut faire rater un entretien d'embauche...
Nombreux candidats se font hara kiri en entretien d'embauche en tombant dans un piège fréquent. Il est pourtant très simple à éviter.
Dans l’entretien d’embauche, on croit volontiers que l’objectif premier du candidat est de bien maîtriser son dossier, c’est-à-dire son CV. Or c’est une erreur qui le met, face au recruteur, dans une attitude embarrassante. Comme s’il se trouvait du coup empêtré dans une logique contre performante consistant, pour parler de lui, à dérouler ce CV, scrupuleusement, et à s’y appuyer constamment pour convaincre.
Une conviction discutable alors même qu’aux yeux du recruteur, un tel choix de présentation de son offre et de son parcours est le pire de tous. D’une part parce qu’il a déjà lu ce CV, et d’autre part parce que si ce CV est une présentation de l’offre du candidat, normalement complète, celle-ci reste trop souvent conceptuelle et toujours pétrifiée… Il n’est en effet qu’un papier à vocation administrative qui n’a que peu de chance de séduire le recruteur et certainement aucune de le faire vibrer !
De telle sorte qu’en lui « servant » ce plat indigeste, le candidat tourne le dos à l’idée même de régaler ce recruteur en lui racontant une histoire suffisamment intéressante et structurée pour capter son attention, surtout au démarrage, en la centrant sur ses attentes supposées.
Le sésame de l’entretien d’embauche. Car la clé d’un entretien d’embauche est d’abord de répondre aux attentes du recruteur. C’est la raison pour laquelle, contrairement aux usages et à ce qui est si souvent enseigné, dans un entretien d’embauche, ce n’est pas le CV qu’il faut privilégier comme arme principale. Mais plutôt, ainsi que le disait Baltazar Gracian, grand maître au XVIIème siècle de la connaissance des Hommes, de savoir dévoiler « son fort » ! C’est-à-dire faire connaître sa plus haute perfection. En d’autres termes, pour faire comprendre qui l’on est, il faut savoir tirer le meilleur de son histoire et de son offre pour installer la relation avec ce recruteur sur de solides fondations.
Or si cette « haute perfection » doit être dite, encore faut-il savoir la raconter. Ce qui suppose de l’avoir travaillée, d’avoir su prendre du recul puis de la hauteur pour en faire une « œuvre » !
Le bon modèle. C’est ce qu’apporte un court papier savamment rédigé sur soi, sur ce que l’on a fait d’intéressant, de concret, de vivant, d’humain… et sur ce que l’on veut faire dans l’avenir. Et, disons-le, il n’est pas besoin d’avoir grimpé sur l’Everest à dos de chameau ou de verser dans la tendance envahissante du « story telling » pour emporter l’adhésion. Ne dit-on pas que la plus simple histoire, bien racontée, peut emporter l’adhésion de l’auditeur quel qu’il soit. Mais encore faut-il l’avoir travaillée, longuement, puis l’avoir ramassée en quelques lignes séduisantes et concrètes…
Enfin, rappelons l’essentiel : ce topo de quelques lignes dont vous allez vous servir au démarrage de l’entretien, est une preuve d’empathie : avec votre histoire, vous entrez dans le monde de l’autre qui ne cherche qu’une seule chose : comprendre. Sartre dit que ce que nous comprenons nous appartient. Ainsi, faire comprendre son histoire au recruteur, c’est partager avec lui une part de cette propriété qui est la nôtre. Là est le secret de la réussite et le meilleur moyen de bien vendre son offre à cet acheteur potentiel qu’est le recruteur.
Si avant l’entretien d’embauche, s’écouter est un bon moyen pour mettre à jour la connaissance que l’on a de soi, de son parcours, de sa vie, de son « œuvre »…, il faut ensuite, face au recruteur, se mettre à l’écouter : c’est un moyen incomparable de bien lui transmettre son offre professionnelle.
Ceux qui restent scotchés à leur CV et à leur histoire, qui s’égosillent à vanter les mérites de leur offre, ont bien du mal à trouver des arguments pour convaincre : ils continuent de s’écouter… Au contraire, ceux qui, Lecteur de LinkedIn, reprendre ici ...en se retenant, cherchent à entrer dans l’histoire de leur interlocuteur par une bonne écoute, parviennent aisément à trouver satisfaction à leur curiosité. Avec de bonnes questions, ils comprennent mieux ce qui est en jeu : ils ne ramènent pas tout à eux. Les attentes du recruteur découvertes petit à petit, ils peuvent choisir des arguments adaptés. Ecouter, c’est arriver à entrer dans le crâne de l’autre et non rester dans le sien… !
Or il est difficile, sauf à y être préparé, de sortir de sa propre histoire. Autant demander à Narcisse de cesser de se contempler… Il faut se forcer à renoncer au fameux exemple du grand oral supposé faire sortir du lot l’excellence même : au lieu de pavaner, sachons avec une bonne dose d’humilité tout mettre en œuvre pour en savoir davantage sur les attentes du recruteur et ainsi l’aider à y voir plus clair… !
La conséquence heureuse d’une telle attitude ? L’attention à son égard et la retenue du candidat sont ce qui va marquer le recruteur. Thucydide dit que « la manifestation du pouvoir qui impressionne le plus les gens est la retenue. » Ainsi écouter son recruteur ne serait-il pas le plus sûr moyen de sortir du lot ?
Les RH semblent adhérer aux promesses de cette innovation.
Leur intérêt est pourtant d’y résister afin de garder la main sur leur domaine, notamment sur le sujet difficile de la mobilité interne !
Les Ressources Humaines n’échappent pas à la tentation numérique et digitale. Le besoin de mouvement et de mobilité de l’entreprise est tel que les promesses de cette innovation technique sont considérées favorablement : faire se rencontrer offre et demande en « matchant » pile-poil un marché de l’emploi interne comme externe, optimiser les compétences, permettre de nouvelles fluidités en favorisant le relationnel, offrir à chacun de nouveaux accès aux données dont il a besoin, responsabiliser les collaborateurs sur leur avenir professionnel, transformer l’entreprise pour la rendre plus agile et plus collaborative, quoi en effet de plus important pour les RH ?
Toutefois, au risque de décevoir les croyants à tous crins d’un tel prodige ou d’irriter les vendeurs un tantinet outrecuidants de ces miracles numériques et digitalisés, je voudrais rappeler quelques réalités de mon métier, l’Evolution professionnelle, dont le silence sur ce sujet m’étonne.
Un mirage ?
Car si l’on tient compte de la « matière première » traitée par les RH, des questions de taille se posent : est-il raisonnable de vouloir « mettre en carte » tout ce qui a trait aux richesses humaines de l’entreprise et aux ingrédients de la performance des métiers ? N’y a-t-il pas là une sorte de fantasme à vouloir tout percevoir comme un scanner surpuissant auquel rien n’échapperait, à vouloir tout mesurer dans un domaine où le nombre s’avère forcément réducteur, à vouloir mettre tout à la disposition de tous comme un magicien avec sa baguette magique ? Un fantasme comique s’il n’était dangereux : il existe déjà des produits qui « QCMisent » la réflexion sur soi… A quand une psychanalyse en ligne ? Bref, l’innovation technique proposée est-elle bien une priorité ?
Et puis croit-on vraiment que de cette connexion démultipliée promise, va soudain naître un réseau fructueux dans l’entreprise, brisant toute barrière, libérant ainsi l’énergie des collaborateurs jusque-là maintenus dans des silos étanches, désormais affranchis de toute organisation hiérarchique pour voir se développer, enfin, un esprit partageur style « peace and love »…?
N’est-on pas, une fois encore, devant ce symptôme caractéristique des circonstances excessives consistant à vouloir résoudre un problème en en créant un autre, plus insurmontable encore… ? Ne faut-il pas y voir, en creux, une stratégie d’évitement qui nous ferait dire : « devant cette matière humaine décidément incroyablement complexe, adoptons un outil miracle… » ?
Dans le domaine des RH, on a tant de fois connu cela dans le passé avec les injonctions illusoires de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de la gestion des talents, de la polyvalence, de l’employabilité… ? Autant de concepts à la mode qui devaient combler l’entreprise en lui apportant une capacité renforcée d’adaptation, de fluidité et d’optimisation des RH. Pourtant, si l’on s’en tient aux résultats de tant de temps et d’argent investis, il est légitime de s’interroger sur cette innovation actuellement proposée. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le taux dérisoire de la véritable mobilité interne dans les entreprises que, toutes, cherchent à développer…
Numériser et digitaliser, oui « ma non troppo ! »
Mais alors, que faire ? Se mettre aux abris devant cette innovation technique, à l’écart comme notre ami le Baron perché ou bien adhérer religieusement et risquer de se noyer dans les méandres d’une mécanique sans fin ?
Deux voies inutiles qui, comme toujours, font penser que la solution est ailleurs : si l’on veut par exemple accélérer la mobilité interne dont l’entreprise a tant besoin, il faut utiliser cette innovation technique à la mesure de ce que le domaine des RH peut accepter et prendre à bras le corps les deux maux majeurs de l’entreprise qui produisent de l’immobilité : une absence cruelle de maîtrise des fondamentaux du métier de l’Evolution professionnelle par les managers et les collaborateurs et un désert relationnel qui s’est installé dans l’entreprise depuis 30 ans.
L’objectif de cette troisième voie, écartant cette idée folle de « cartographier » de façon exhaustive la matière première RH de l’entreprise, serait de partager quelques bonnes pratiques de l’Evolution professionnelle avec chaque collaborateur et chaque manager en dynamisant l’engagement de chacun sur son avenir : c’est-à-dire faire ce qui n’a jamais été fait avec cette conviction première que la mobilité, c’est d’abord l’affaire de chacun !
On pourrait donc numériser et digitaliser des outils sélectionnés pour leur adaptation et leur efficacité, en le faisant de manière équilibrée, humaine et contrôlée par les RH. Ces outils de l’Evolution professionnelle existent, ils sont facilement opératoires et peu coûteux. Deux exemples : la Courbe de carrière qui permet à chacun de démarrer une réflexion sur soi : en quelques minutes, un tel outil peut éclairer de manière globale un parcours complexe. De même, le Plan de l’état des compétences qui permet rapidement de positionner son offre « pro » actuelle par rapport à un idéal, dans ou hors de l’entreprise, et d’envisager quelques actions à mettre en œuvre pour s’en rapprocher.
Chacun dans l’entreprise, seul et avec les RH dans un second temps, pourra ainsi analyser son offre, porter un diagnostic et, surtout, réveiller ce goût de la mobilité, souvent éteint. Ces outils faciliteront le rapprochement des offres et des demandes. Enfin, connus et partagés par tous, ils développeront un relationnel utile et efficace pour évoluer.
En somme, plutôt que le mirage ordonné d’une usine à gaz dont les résultats seront atteints un jour, peut-être…, les RH devraient viser une numérisation/digitalisation à taille humaine, ancrée dans le réel et l’expérience, mieux ciblée sur les acteurs principaux du changement (les collaborateurs et les managers) afin d’obtenir des résultats rapides que tout le monde appréciera.
Qu’attendent les entreprises pour s’intéresser à cette troisième voie ?
Indécision, incertitude, menace de désertion massive… ponctuent cette présidentielle. Tout se passe comme si les politiques ne parvenaient pas à convaincre les Français d’aller voter.
Quelle clé leur manque-t-il pour parvenir à les mobiliser ?
J’aime le mot d’Emmanuel BERL : je n’écris pas pour dire ce que je pense mais pour le savoir. Comme beaucoup, je suis inquiet du temps présent et de la tournure que l’avenir prend. Aussi, j’éprouve ce besoin de mettre en mots ce que je n’entends ni ne lis nulle part ; avec l’espoir sans doute un peu naïf, d’y parvenir…
A quelques semaines de la présidentielle, que voyons-nous ? Une absence de débats et un déballage de programmes convenus, de constats, de chiffres si froids et si insignifiants que les Français, déroutés, restent en retrait : ils n’adhèrent pas et manifestent comme jamais leur volonté de s’abstenir ou de voter blanc ; et quand ils se mobilisent, c’est le plus souvent par dépit ou par faiblesse : ils veulent un sauveur, une idole…
Dans cette présidentielle, quelque chose manque ! Quelque chose qui ferait que les auteurs de ces programmes soient suivis !
Je vous livre une idée : comme le sait un bon médecin, le succès de la guérison appartient à celui qui, après le temps d’une observation sérieuse et l’étroite complicité du malade, identifie et désigne le mal en le nommant. Cela s’appelle faire un diagnostic. Or où est ce véritable diagnostic sur l’état de la France ? Où est ce levier puissant pour mobiliser les Français sur leur guérison ? Les ordonnances affluent mais le diagnostic, je ne le vois nulle part. Et ne me dites pas que pointer le niveau d’endettement ou le poids des dépenses publiques est un diagnostic sérieux. Dire que le malade a de la fièvre est du même ordre, il ne s’agit là que d’un simple constat qui ne règle rien. J’ajoute qu’un bon diagnostic comporte une ouverture sur l’avenir : quelle vie puis-je espérer avoir si je guéris ?
Voici en quelques lignes mes constats : sur la démesure qui marque l’époque sur tant de sujets, les Français ressentent un sentiment d’impuissance qu’ils ne peuvent plus supporter. Ils ne savent pas comment sortir de ces excès. Ils sont inquiets. Pire, ils sentent que ceux-là même qui devraient maîtriser ces questions, les politiques, sont dans la même difficulté qu’eux. Ce mal dont ils souffrent est la conséquence d’une technicité et d’une mondialisation hypertrophiée dont l’omniprésence désagrège leur vie de tous les jours, leur travail, leurs Institutions, leur santé, leur territoire… Or parce que ce mal n’a pas fait l’objet d’un diagnostic sérieux et partagé, il continue de se répandre. Ce mal a un nom : la dépression. Celle qui terrasse tout sujet conscient qui perd la main sur la conduite de sa vie.
En procédant ainsi, c’est-à-dire en exprimant les inquiétudes supposées des Français, un diagnostic fait davantage qu’un simple constat. Il entre dans le champ de leurs préoccupations intimes face à un monde déroutant auquel ils n’adhèrent pas.
Or au lieu de leur parler de leurs problèmes, les politiques s’échinent à leur parler de dette, de déficit, de croissance molle, de ratios sur PIB en berne… Pire encore, ils leur rappellent incessamment qu’il leur faut rattraper les autres pays qui, eux, sont déjà dans la course à la modernisation… Tout ceci se faisant sur fond de déculturation et de désagrégation institutionnelle et humaine dont le mouvement lent mais sûr, accentue la douleur des Français !
On comprend que la démarche empathique du bon médecin traditionnel embarrasse les politiques. Il y a là comme une difficulté d’ordre culturel qui fait qu’ils ne comprennent pas ce qu’il faut faire (ce qui n’est d’ailleurs pas le seul fait des politiques…). En paraphrasant La Fontaine dans « Les deux amis », on pourrait dire : le politique ne sait pas chercher les besoins des Français au fond de leur cœur et leur épargner la pudeur de les lui découvrir eux-mêmes…
Faute donc de diagnostic, peu de mobilisation. Or rien de grand ne peut se faire sans ce diagnostic partagé, condition d’un vrai débat sur les choix à faire.
C’est pourtant comme cela que les Français se mobiliseront et se rassembleront et non à l’instigation de ces appels rêveurs au rassemblement ou à je ne sais quel recomposition politique ! En juin 1940, quand de Gaulle appelle les Français à se mobiliser, il a pris le soin d’analyser la situation avant de s’appuyer sur un diagnostic approfondi avec une vision de l’avenir crédible pour s’en sortir. De même, imaginez sa tête face à un journaliste lui demandant combien de déficit ou de dette il prévoyait à la libération… sans doute un tel freluquet aurait-il été renvoyé à ses chères études !
Nous avons en France tout ce qu’il faut pour relever ce défi d’un vrai diagnostic. Si nous ne le relevons pas, en mai prochain, nous aurons un président mais rien de sérieux ne se produira.
C’est la raison pour laquelle, que vous soyez de droite ou de gauche, tourné vers le passé ou vers l’avenir, ayant la foi ou ne l’ayant pas, que vous soyez adepte du progrès ou du conservatisme, que vous soyez en haut ou en bas, conscient et instruit des menaces de ce monde ou pas, farouchement engagé individuellement dans la vie ou que vous soyez plutôt dans un entre-deux hésitant…, je vous conjure de ne souscrire à aucun programme à ce stade. Mais plutôt de faire d’abord ce diagnostic par vous-même. Sachons prendre du recul pour nous poser des questions simples et tenter d’y répondre : dans quel monde voulons-nous vivre ? Quelle place voulons-nous donner à notre part d’humanité dans ce monde futur… ?
Sortons enfin de ce fanatisme délirant de l’immédiateté médiatique qui freine toute tentative de comprendre de quoi sont vraiment faites nos réalités. Réfléchir par soi-même n’est-il pas le meilleur moyen ? Enfin, un dernier message aux politiques : a-t-on jamais trouvé mieux pour fabriquer du succès sur un sujet que de parvenir à mobiliser ceux qui sont concernés au plus près ?
Il reste à peine 3 semaines…
Yves Maire du Poset, consultant et citoyen parmi d'autres...
Avant de nous plonger à corps perdu dans nos projets, sachons nous retourner un moment sur le passé et payer nos dettes !
Au soir de sa vie, un hommage est rendu à un vieux professeur sous la forme d’un livre qui lui est consacré. Tout y est décrit : son parcours dont chaque épisode est savamment raconté, ses œuvres, son influence dans son domaine… pas le moindre commentaire fait par lui, paru çà et là, n’a échappé à la représentation écrite de cette vie devenue exemplaire.
Séduit par ce travail et cet éloge, le professeur reste pourtant frappé par une idée : l’essentiel y figure-t-il ? Car très vite, il se rend compte que rien n’est dit d’une rencontre déterminante qu’il a faite, étant jeune universitaire, avec celui qui lui transmettra cette étincelle qui va marquer toute sa vie de chercheur. Pas un mot n’évoque en effet l’existence de ce transmetteur de passion, de méthode et d’ouverture qui l’a fait être ce qu’il est aujourd’hui, l’un des meilleurs de sa spécialité. *
Que faisons-nous de nos dettes culturelles ?
Parce que le thème de la dette est devenu une véritable obsession (certes sur un autre plan…) mais surtout parce que le thème du passé a désormais moins de succès que celui du futur (ce qui est évidemment discutable…), sans doute est-il plus que jamais utile de chercher à identifier ou reconnaître toutes nos dettes culturelles qui, malheureusement, passent le plus souvent à la trappe… ? Des dettes qui ne concernent pas seulement ceux qui ont été nos mentors mais tous ceux, proches et moins proches, que nous avons côtoyés et dont une remarque ou un conseil, parfois un trait d’humour, un regard ou encore un exemple de vie… nous aura fait grandir.
Qui paie ses dettes s’enrichit…
Il faut payer ses dettes culturelles pour au moins deux bonnes raisons (je pense particulièrement à ceux qui sont dans le besoin, parfois dans la nécessité d’évoluer, de rebondir, d’aller vers un nouvel ailleurs...) : c’est en faisant cet effort de mémoire (souvent devenue une vraie passoire) que nous enrichissons le regard que nous portons sur nous-mêmes et que nous comprenons mieux qui nous sommes ; c’est un bon moyen de se renforcer pour préparer l’avenir. La deuxième idée est qu’en procédant de la sorte, nous retrouvons quantité de points d’appui pour enrichir le tissu relationnel que nous avons créé mais qui, au fil du temps, s’est défait ; à nous de le réactiver !
En somme, en travaillant cette question de la dette culturelle, nous nous allégeons d’un poids de trop et rendons plus sûr notre avenir. N’est-ce pas là un objectif primordial à l’aube de cette nouvelle année ?
Yves Maire du Poset
* Il s’agit d’une histoire racontée par Stefan ZWEIG dans « La confusion des sentiments »
Dans un monde où les transformations s’accélèrent, il est grand temps que les salariés prennent leur avenir en main. Encore faut-il leur en donner les moyens.
Par Bernard Roman et Yves Maire du Poset
Le malaise des salariés ne révèle pas seulement une perte de confiance dans leur entreprise et un profond désengagement. Il sonne surtout la fin de leurs illusions quant à leur carrière : un contrat implicite fait de confiance et d’engagement les liait à leur entreprise, contrepartie d’une évolution professionnelle durable. Mais avec les formidables évolutions technologiques et organisationnelles que nous connaissons, ce contrat de confiance est définitivement rompu.
Pour les salariés, le moment est venu, plus que jamais, de prendre leur avenir professionnel en main. Ce qui était jusqu’ici surtout une préoccupation de seniors concerne à présent tout le monde car même les plus jeunes et les plus qualifiés sont, de plus en plus rapidement, frappés d’obsolescence professionnelle.
Investir dans sa carrière
Pour faire face à ce phénomène, que voit-on : des DRH sans solution magique, des dispositifs de formation coûteux et inefficaces, des dispositifs publics et privés d’aide à l’emploi débordés. Confrontées à des changements permanents et de toutes natures, les entreprises ont renoncé à gérer les carrières, même pour les plus jeunes. Les hauts potentiels – de moins en moins nombreux à bénéficier d’une gestion de carrière – n’ont qu’à bien se tenir.
Car, en effet, à quoi bon investir dans les ressources humaines, dans la mobilité et le développement des compétences alors que vous ne savez pas ce que vous réservent les marchés dans trois mois ? Ainsi les entreprises se sont-elles tournées vers le marché de l’emploi pour acquérir les compétences dont elles ont besoin et les lui rendre lorsqu’elles n’en ont plus besoin. En revanche, pour les salariés en surabondance, cela ne marche pas. Alors oui, les réorientations de carrière, changements de métier, créations ou reprises d’entreprise sont des solutions, mais peu y sont réellement préparés.
Parce qu’ils n’ont pas pris le temps d’y réfléchir, de s’y préparer et d’investir ; et parce qu’ils ne sont ni encouragés ni aidés. Pourtant, une carrière mérite qu’on y consacre du temps et de l’argent. Comme rien n’est prévu, chacun se débrouille comme il peut. Aussi, à l’heure où ces questions se posent au coeur des problématiques d’emploi, il est plus que temps d’encourager chacun à investir dans son avenir professionnel !
Sécuriser son avenir professionnel
Les dispositifs d’épargne salariale qui permettent notamment de se constituer une épargne ou de préparer sa retraite doivent intégrer une épargne destinée à préparer et à conduire au mieux ses changements de carrière. Il ne s’agit pas en réalité de remettre en cause ce qui existe, mais plutôt de proposer que les plans d’épargne – PEE et PERCO – soient complétés d’un plan d’épargne carrière – PEC – construisant, avec l’entreprise, le financement nécessaire pour se préparer aux changements de carrière.
Et ceci en utilisant des moyens actuellement mis en oeuvre pour former, adapter, reconvertir ce capital humain accumulé que les ruptures et la volatilité économique envoient souvent à la casse. Ajoutons qu’à défaut d’une initiative publique, le secteur privé pourrait, lui aussi, créer un produit répondant à ce nouveau besoin de gérer sa carrière !
Piloter sa carrière librement
Il y a donc urgence à faire évoluer nos dispositifs pour permettre aux salariés de piloter eux-mêmes leur trajectoire professionnelle. Mais pour cela, encore faut-il en avoir les moyens pécuniaires, au bon moment ; et disposer du temps nécessaire pour pouvoir se préparer comme on l’a décidé, choisir la formation la plus adaptée, le conseil que l’on souhaite, l’accompagnement le plus adapté… Et non subir le recours aux catalogues et aux conseils choisis à votre place par l’entreprise qui espère surtout vous voir la quitter au plus vite...
Redonner de la liberté au salarié tout en le responsabilisant, tel est l’enjeu de ce plan d’épargne carrière. Alors, candidats à l’élection présidentielle, parlementaires, dirigeants d’organismes de prévoyance, assureurs…, nous vous posons une question : qu’attendez-vous pour vous emparer de cette idée ?
Bernard Roman est président d'Agilio Conseil
Yves Maire du Poset est président de Piloter Ma Carrière
Ardemment recherchée par l’entreprise pour s’adapter aux temps modernes, espérée par les salariés qui sentent que le mouvement, plus que l’immobilité, est ce qui sauve, la mobilité interne marche pourtant mollement. Or des solutions existent pour la développer !
Les paradoxes dans l’entreprise sont légion et la mobilité interne en est un bel exemple : tout le monde la veut mais personne ne l’obtient. Elle comporte ces contraintes antagonistes que l’on fuit naturellement par crainte de la complication mais qu’avec un peu de courage, d’esprit d’innovation et de conciliation, on peut résoudre.
Car que voit-on la plupart du temps ? En haut de l’entreprise, une volonté affichée de développer cette mobilité interne, des systèmes sophistiqués souvent promus cahin-caha ainsi qu’une incitation scrupuleuse des pouvoirs publics comme l’entretien professionnel visant à faire réfléchir chaque salarié sur son devenir (Loi de 2015). Or malgré tout cela, on sent bien que, telle qu’elle fonctionne, la mobilité interne ne contente personne, ni les dirigeants, ni les managers, ni la DRH, ni les intéressés eux-mêmes. Des freins existent et, reconnaissons-le, il manque un ingrédient pour que la mayonnaise prenne…
Pour ma part, je commencerais par dire ceci : si elle ne marche pas, c’est que l’entreprise n’a pas suffisamment travaillé le facteur relationnel et les outils qui vont avec. Les acteurs concernés ne sont pas incités à se prendre en main. Je veux parler des salariés eux-mêmes pour qui bouger est toujours synonyme d’appréhension, d’incertitudes ajoutées à l’accélération d’un monde technique qui va si vite. Quant aux managers qui devraient être le premier maillon actif de ce processus de mobilité interne en incitant les collaborateurs à réfléchir à leur offre et à se projeter dans l’avenir, ils bloquent la machine, faute de formation et d’entraînement. Il ne faut pas leur en vouloir ni les en rendre coupables, il faut juste leur faire découvrir ces outils qui, une fois qu’ils se les seront appropriés, auront à cœur de les utiliser.
Car des outils qui facilitent la mobilité existent ! Prenons l’exemple de la courbe de sa carrière : voici une manière très aisée, voire ludique, d’entamer un dialogue avec son collaborateur au sujet de son évolution professionnelle à long terme. En quelques mots, il s’agit, sur un plan réalisé au crayon sur une feuille 21/29,7, de faire dessiner par le salarié lui-même une courbe illustrant les temps de sa carrière avec les pics de bonheur professionnel et les creux d’enquiquinement majeur ! Exemple :
A partir du dessin de cette courbe fait « au crayon levé », et pour peu qu’on l’affine par le dialogue puis par le travail que le salarié fera lui-même ensuite, on constate vite qu’elle est un moyen incomparable d’éclairage du passé, du présent et de l’avenir du collaborateur. Elle permet d’y retrouver ses réalisations concrètes, ses compétences, ses motivations ; et tous les autres ingrédients, y compris ceux qui sont personnels, qui font le succès ou le défont. Elle permet de réactiver ses liens oubliés, voire négligés, les dettes que l’on a envers certains et les créances…, et aussi tant d’autres éléments de son histoire. Bref, en lui faisant redécouvrir son offre, elle renforce le collaborateur et lui redonne confiance. Mieux, elle engage et implique chacun dans son rôle : le collaborateur devient acteur de sa carrière, le manager se transforme en accoucheur.
Pour le collaborateur, c’est un vrai travail de mémoire sans lequel aucun avenir ne peut être raisonnablement envisagé. Or ce dont les personnes souffrent le plus quand il s’agit d’évoluer et de se prendre en main, c’est d’une faiblesse de mémoire qui, « est notre plus grand manque » comme le disait Jean Guéhenno. Il ajoutait : « A cette perte continue de nous-mêmes, tient peut-être cette insuffisance qu’on sent en soi, cette impuissance à changer la vie. » Tout est là !
Mais l’exercice ne va pas de soi. Dans mon métier qui consiste à accompagner l’évolution de personnes à des moments difficiles, je le vois tous les jours : malgré leur expérience parfois incontestable, dès qu’il s’agit de réactiver leur passé, ces personnes sont nouées ! Pire, elles ne se souviennent que des mauvais moments de leur carrière. Leurs succès, leurs liens, leurs talents…, tout a tendance à passer à la trappe ! Or ce n’est qu’au terme d’un vrai dialogue, court ou long selon les cas, que le voile de l’oubli se défait et que l’horizon peut de nouveau s’éclaircir.
DRH, vous souhaitez relancer la mobilité interne ? Alors faites connaître aux managers cet instrument de dialogue, curieusement si peu connu. Puis apprenez-leur à s’en servir. La courbe de carrière est un formidable instrument pour les ressources humaines : il est simple, redonne à chacun ce « punch » nécessaire pour être acteur de sa mobilité. Comme l’huile dans les rouages, cet outil facilite le mouvement et il est un bon moyen de réactiver le relationnel dont vous avez tant besoin pour réussir l’adaptation de votre entreprise aux exigences actuelles. Vous verrez, bien vendu, les managers s’en empareront car ils y verront un nouvel outil de management très utile.
Il y a dans la rédaction un côté formel et sérieux que l'oralité ne permet pas. Dans l'entreprise comme ailleurs, il est grand temps de réhabiliter l'écrit.
Imaginez : un dîner entre amis où chacun évoque le destin de ses chers petits devenus parfois bien grands … Soudain une mère s’échappe et revient avec la thèse de son fils, jeune doctorant. Avec la fierté d’un Artaban plein d’humour, elle ouvre le document sur la dédicace écrite par ce jeune auteur dans lequel un éloge est fait de tous ceux qui l’ont aidé à atteindre ce sommet. Celui des parents et de la famille n’est pas mince. Chacun y est mentionné pour son apport particulier et l’on voit avec éclat que tous ces liens du quotidien, longuement façonnés par l’affection, représentent pour ce jeune doctorant l’un des ingrédients majeurs de sa réussite.
Un enseignement précieux. Nul doute que ces hommages ont dû être faits oralement. Pourtant, ces quelques lignes écrites changent tout ! Pour ceux qui ont l’honneur d’y figurer, elles témoignent de l’importance de leur contribution. Ils peuvent lire et relire la gratitude qui leur est accordée et entrent ainsi avec joie dans l’histoire de cette réussite : sans eux, les choses n’auraient pas été exactement les mêmes ! Pour l’impétrant, non seulement il marque officiellement sa reconnaissance mais en incluant son entourage personnel, il inscrit également dans le marbre ce que celui-ci lui a apporté pour construire son œuvre. Formaliser cette dédicace lui a demandé, certes, du travail mais par ce temps et cet effort qu’il a fournis, on peut dire qu’il s’acquitte pour une part de cette dette. Donner, recevoir, rendre…, nul doute que tout cela lui sera une nouvelle fois rendu au centuple !
N’y a-t-il pas là un modèle à suivre dans l’entreprise ? Faisons-nous suffisamment cet effort de formalisation dans tout ce que nous faisons ? Surtout dans l’environnement d’aujourd’hui où la communication et la vitesse nous noient littéralement d’informations ; et dont le moins que l’on puisse dire est que leur masse même fait perdre le sens du fond au profit de la forme. Ce qui fait que, souvent, une journée passe et malgré une frénésie d’activités et de « réunionites » de tous les instants, nous avons parfois le sentiment qu’il n’en reste pas grand-chose sinon que les paroles se sont envolées…
Or ce fond ne s’obtient qu’avec le concours de l’écriture. Elle possède en effet plusieurs avantages : celui de se préparer et de réfléchir, c’est-à-dire de prendre un peu de distance avec l’instant ; celui de s’obliger à se poser (j’allais écrire « pauser »…) ; celui de se concentrer sur l’objectif ; celui d’aller vers plus de justesse dans le choix des mots pour dire les faits, les problèmes et les solutions… Bref, il y a dans cette formalisation écrite un véritable travail, un côté sérieux que l’oralité, le blablabla et l’immédiateté actuellement privilégiés, ne permettent plus.
Dans mon métier de consultant, je suis toujours frappé de voir à quel point certains moments importants sur le plan professionnel n’ont pas toujours fait l’objet de ce minimum de préparation écrite. Il en est ainsi, souvent, des entretiens que l’on mène pour faire évoluer sa carrière ou celle des autres ; mais aussi des réunions que l’on doit animer avec sa hiérarchie, ses collaborateurs, ses pairs… ; des visites que l’on rend à de futurs clients ou des présentations de l’entreprise que l’on doit faire à des prospects... Ce que je vois surtout dans de telles occasions, c’est que l’improvisation règne, exactement comme si la confiance en soi était telle que le risque de « se planter » était jugé nul.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir à quoi ressemblent tous ces mails torchés et envoyés sans relecture, ces SMS sans plus d’orthographe que celle d’un enfant pré- CP, contenant des abréviations comme « bjr » pour dire bonjour (on se demande d’ailleurs si l’émetteur se rend vraiment compte de l’effet que cette « abréviation » produira sur le récepteur ainsi réduit au strict minimum… ?). Et que penser encore de ces communicants « scotchés » sur leur Power Point ? Comme des aveugles avec leur canne, ils cherchent dans ce brouillon projeté aux yeux de tous, un appui pour compenser ce manque de préparation formalisée qui les auraient pourtant affranchis ?
Que faire concrètement ? Dans l’entreprise comme ailleurs…, il est plus qu’urgent de réhabiliter l’écrit ! Exemples concrets parmi des centaines : « Vous voulez me voir pour parler de votre évolution ? OK mais avant d’en parler, envoyez-moi un papier de 12 lignes maximum pour me convaincre… » ;« Vous avez une idée, un projet dont vous voulez me parler ? OK mais d’abord envoyez-moi un papier de 8 lignes maximum pour préparer notre rendez-vous… » ; « Vous voulez me voir parce que vous n’êtes pas d’accord sur un point particulier…? OK mais avant, écrivez-moi en 10 lignes ce que vous voulez me dire et ce que vous proposez… » ; « Vous voulez dire quelque chose à la réunion prochaine ? OK alors préparez-vous par écrit, vous aurez 5 minutes maximum pour nous en faire part… » ; « Vous voulez vous-même faire l’ouverture du prochain entretien avec le prospect Y ? Parfait, alors écrivez un papier sur votre intervention et sur la présentation que vous allez faire de notre entreprise et faites-le-moi parvenir la veille… ». Etc. Faites donc travailler vos collaborateurs sur ce qu’ils doivent dire, non pour les enquiquiner mais pour les élever et les rendre plus forts !
Un pari sans doute difficile à relever mais en réhabilitant ainsi l’écrit, c’est bien sûr au fond que je pense au détriment de la forme. Formalisez, formalisez, c’est le fond qui manque le plus ! D’ailleurs, ne vous reste-t-il pas quelques jours de vacances pour, vous-même, vous fendre de quelques lignes bien composées sur vous, votre parcours jusqu’à maintenant, sur l’étape prochaine de votre carrière, sur vos idées ou encore sur votre prochaine intervention en public… ? N’oubliez pas ce que disait le grand Albert Sorel : « Il n’est pas de bataille perdue qui ne se regagne sur le papier ».
Vous trouvez que les relations humaines dans votre entreprise pourraient fonctionner mieux ? Faites lire à vos cadres la querelle du Cid !
Dans l’entreprise, on est souvent sidéré par la place que prennent les bisbilles, les frictions, les mésententes entre les uns et les autres. Elles aveuglent non seulement les tenants de ces « guéguerres » mais aussi leur entourage. Elles finissent par évincer l’essentiel du débat au risque de passer à la trappe l’intérêt de l’entreprise, du client… En vérité, on ne souligne jamais combien la relation humaine bien maîtrisée est le meilleur moyen d’éviter l’échec professionnel. Je m’empresse de dire que l’entreprise n’est pas le seul lieu où ces inutiles combats de coqs (et de poules) ont lieu…
Comment faire pour développer la qualité de la relation dans l’entreprise ?
Vous connaissez Le Cid ? Je propose de rendre obligatoire l’apprentissage par cœur d’une scène du Cid, pleine de vertu pédagogique sur ce sujet. Il s’agit de la célèbre querelle entre DON DIÈGUE et DON GOMÈS. Le premier, DON DIÈGUE, reconnu pour sa sagesse et son expérience, vient d’être chargé par son roi de prendre en main l’éducation du jeune prince. DON GOMÈS, guerrier dont l’exemplarité n’est plus à prouver mais qui est plus jeune que son rival, prend ombrage de cette nomination. Il estime que c’est lui qui aurait dû être choisi et il en veut donc à DON DIÈGUE.
Dans la scène III du premier acte, on assiste à un échange verbal très animé, un véritable jeu de ping-pong qui finit par tourner au vinaigre. DON GOMÈS, en colère, perd tout contrôle et finit par souffleter DON DIÈGUE, lequel dans sa vieillesse, se verra obligé de demander l’impossible à son fils RODRIGUE : prendre l’épée pour venger l’affront subit par son père. Petit détail : RODRIGUE aime CHIMÈNE qui n’est autre que la fille de DON GOMÈS… Il y aura du sang mais je vous rassure, c’est une tragi-comédie qui finira bien. En attendant, quel bazar !
Décryptons la scène en quelques mots : en dépit de leur grande instruction et expérience, aucun d’eux ne fait preuve de l’empathie nécessaire dans toute relation humaine. Ils ne cherchent pas à se mettre à la place de l’autre ; d’abord en sortant de soi pour ensuite tenter d’entrer dans la pensée de l’autre.
Tourmenté par sa blessure, DON GOMÈS est incapable de s’associer à la réjouissance de DON DIÈGUE, quitte à avaler son chapeau. De son côté, DON DIÈGUE ne comprend pas qu’il a en face de lui un homme profondément blessé et qu’à ce stade, aucun raisonnement ne peut l’atteindre. Si bien que, cherchant à calmer le jeu pendant un long moment dans l’échange, il finit par se prendre lui-même au piège de la colère : à un moment, vous verrez, il se lâche et participe à la perte de contrôle de DON GOMÈS. Or, comme on le sait, la colère est mauvaise conseillère et emporte tout sur son passage.
Franchement, dans un monde de plus en plus technique, dont l’individualisme favorise les fragmentations, encourager et développer l’empathie avec tous ceux que nous côtoyons, n’est-ce pas là ce dont nous avons le plus grand besoin ? L’empathie constitue par ailleurs la meilleure protection contre les dérives relationnelles et la meilleure garantie pour que de bons et fructueux échanges s’instaurent avec les autres.
L’empathie dans l’entreprise. Y compris dans l’entreprise où elle est ce défi majeur que nous avons bien du mal à relever, tous les jours, à tout moment et avec tout le monde : chercher à comprendre les difficultés des autres, entrer dans leur monde est, reconnaissons-le, ce que nous faisons rarement ; soit parce que nous n’y pensons pas, soit plus simplement parce que nous ne savons pas comment faire.
Or cette aptitude rare ne tombe pas du ciel. Il s’agit d’une mécanique qui s’apprend et sur laquelle il faut s’entraîner. On sait parfaitement muscler l’attention qui a tant de mal à se fixer, on sait concentrer l’écoute des collaborateurs sur des sujets qui ne sont pas les leurs. Cela permet d’éviter qu’une algarade ne se transforme en guerre. Imaginez une seconde des ingénieurs innervés par les attentes cachées du client, des managers nourris par les attentes de leurs collaborateurs et chacun d’eux, enrichi par l’horizon de tous, se transformant brusquement en promoteurs de l’entreprise dedans et dehors… Bref, un vrai délice relationnel !
Il vaut mieux s’envisager que se dévisager disait Cocteau… Hé oui, il suffit parfois d’ouvrir un classique pour découvrir ce qui, décidément, nous échappe. La littérature est truffée de ces exemples vertueux qui peuvent nous aider dans le cadre professionnel ou personnel. Mais encore faut-il, comme avec Le Cid, prendre la peine de les lire, d’y réfléchir et d’en tirer de solides enseignements pratiques.
Pour finir, voici une illustration de ce que nous devrions tous savoir faire en certaines circonstances : voulant qualifier l’immense intérêt pour les autres qu’avait son grand ami Marcel Aymé, Antoine Blondin disait de lui : « Il était perdu dans vos pensées… ».
Et si on essayait un instant de s’oublier pour se rapprocher des autres ?