Un grand moment de lecture !
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Je viens de finir la lecture de ce roman. Je l’avoue, je suis sonné. Un peu comme on l’est quand on a rencontré l’improbable et qu’on sait que, désormais, on ne pourra plus voir les choses de la même façon.
Ce roman est l’histoire d’un Palestinien et d’un Israélien qu’a priori, tout oppose. A ceci près qu’ils ont vécu une même histoire : la perte de leur fille. L’une a été tuée par une balle perdue venue de l’armée israélienne, l’autre dans un attentat kamikaze perpétré par des adeptes de la cause palestinienne.
La rage et l’esprit de vengeance auraient dû les emporter mais ils n’en veulent plus. Ils voient bien que de tels sentiments alimentent la guerre et qu’il s’agit maintenant d’en interrompre le cours. Et puis chacun a une expérience et un contexte qui l’ont préparé à opter pour un autre chemin. L’un a fait 7 ans de prison injustement ; et l’autre a vécu les drames et les impasses de la guerre. L’un et l’autre sont par conséquent légitimes et équipés de suffisamment de sagesse pour savoir que la paix passe par un renversement du cours des choses. Une autre voie est possible.
L’association « Les combattants pour la paix » va les réunir. Son maître mot : « Ça ne s’arrêtera pas tant que nous ne discuterons pas. ». Autrement dit, il y a bien mieux à faire que la guerre et « la seule vengeance consiste à faire la paix. » Le temps interrompu de la relation humaine doit reprendre ses droits. Il faut avoir le courage de tendre la main et de parler à son adversaire. Ils s’appliquent à eux-mêmes cette phrase du poète persan Rumi : « Hier j’étais intelligent et je voulais changer le monde. Aujourd’hui je suis sage et j’ai commencé à me changer moi-même. »
Ils transgressent donc les usages et endossent la double peine qui va avec : aller vers le plus dur et se mettre à dos son propre camp. Choix périlleux mais ils sont deux amis véritables, ils sont forts.
Aussi, partout où ils le peuvent, ils racontent leur histoire et formulent le plus inaudible : les victimes, ce ne sont pas eux mais d’abord ceux qui tuent ! Car ils sont sous l’emprise de la peur et de la haine. Il faut donc les en faire sortir et susciter en chacun l’espoir de la paix, même si cette tâche est celle d’un Sisyphe. Ce temps du dialogue retrouvé agira pour la paix aussi solidement que dans la maçonnerie « qui tient non pas grâce au mortier mais grâce au temps. »
« Si vous divisez la mort par la vie, vous obtenez un cercle. » Ce message ponctue le roman : renoncer à la mort oblige à se parler même si on a l’impression « de vider l’océan avec une petite cuillère… »
« Apeirogon » est un livre sur l’importance du temps qui, seul, forge les grandes œuvres humaines. Autant dire un roman à contretemps de l’actuelle modernité techno-économique.
Il est composé de mille et un fragments de récits, de réflexions, de légendes et de leçons de vie dont vous ne sortirez pas indemnes. Comique aussi tant il ressemble au voyage d’un humain en Cisjordanie fait de multiples checkpoints, de peurs et de murs qui empêchent la vie de se dérouler simplement. Une lecture comme on regarde un vol d’oiseaux en liberté, il faut fixer son attention. Mais n’est-ce pas le lot de toute œuvre puissante ? Un bout de désert parfois à traverser mais à la fin, un immense oasis, je vous le garantis !
*Apeirogon : forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés.