Serons-nous vraiment plus heureux avec l’IA ? Faut-il croire de si belles promesses faites tambour battant ? Ne faut-il pas au contraire rester prudent, réfléchir, et se poser quelques questions ?
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Que de salves médiatiques pour nous vanter les mérites de l’IA, de sa dernière prouesse, l’IA générative ! Et demain, avec l’IA générale, vous allez voir ce que vous allez voir ! Car ce progrès possède des allants vertigineux qui vont nous faire atteindre des sommets d’efficacité.
De quoi s’agit-il ? Vous voulez avoir accès à toutes les connaissances que vous ne possédez pas, vous voulez réaliser un travail intellectuel dans un domaine quel qu’il soit et, demain avec l’IA générale, vous espérerez pouvoir vous équiper d’une ressource supérieure au cerveau humain ? L’IA est là pour combler vos désirs. Avec son immense réservoir de connaissances et d’expériences et dotée d’une arme mathématique invincible aux allures de filtre d’amour, l’IA vous apportera sur un plateau d’argent, c’est-à-dire sans effort de votre part, l’exactitude du résultat que vous recherchez.
C’est simple, sans l’IA, votre avenir est un naufrage assuré. Face à sa rapidité d’exécution, les petites brasses de vos cervelles n’y suffiront pas, vous resterez à la traîne de la modernité qui, comme les horloges, avance sans qu’on puisse l’arrêter… !
Je vous entends déjà : une telle présentation est très insuffisante pour un sujet si complexe. Peut-être… mais l’utilisation d’une métaphore est parfois plus rapide pour comprendre. Vous le devinez, ma faible connaissance de ce sujet me garde d’en faire un procès sur le plan technique. Mais me viennent tout de même quelques interrogations.
Je me demande par exemple ce qu’il y a derrière cette fascination que l’IA exerce et pour quelle raison la plupart d’entre nous y plongent tête baissée. Que cache cet objectif d’accroître sans limites nos connaissances ? Améliorer un diagnostic médical se comprend aisément mais pourquoi vouloir imposer cet intermédiaire dans le monde des medias, de l’Education, du Droit, du travail en général… ? Qu’y a-t-il derrière ce besoin de faire confiance, sans réflexion, à des techniques auxquelles non seulement nous ne savons pas grand-chose mais dont l’ordre mathématique nous restera inconnu ? Et puis et puis… qu’y a-t-il dans la promotion actuelle de l’IA devant régler tous ces problèmes que nous n’avons pas su résoudre par nous-mêmes ? Que cache enfin cette volonté mécanique systématique d’envahir nos vies quitte à en extraire nos précieuses facultés à discerner, à interpréter, à juger, à créer… ? N’est-ce pas la preuve par neuf de l’incapacité intrinsèque de la technique à intégrer notre condition humaine dans ses raisonnements ?
J’entrouvre donc le couvercle et avance une hypothèse : ce nouveau fantasme technique n’est-t-il pas l’énième nouveauté de cette machine économique infernale qui, décidément, ne sait pas contenir son frénétique besoin de croissance et de profit. Une machine qui n’a pas l’ombre d’une idée intelligente pour nous aider à survivre dans ce monde devenu invivable ? Par exemple, a-t-elle seulement réfléchi au coût écologique de ce « progrès » de l’IA ?
Et si cette machine économique, visiblement en difficulté, n’avait pas d’autre but, en faisant un tel bruit, que de dissimuler ses trois échecs majeurs : d’abord, celui des malheurs de notre Terre qui n’est plus qu’un Far West à exploiter et un lieu de rebuts ; ensuite, celui de l’obsession techniciste au détriment de la partie humaine de nos vies qui, pourtant, fait que nous sommes encore ensemble ; et, troisième échec, celui des conséquences de son emprise sur un monde politique qui n’est plus qu’un agent actif pour nous vassaliser toujours un peu plus, en nous gavant de désirs satisfaits sans effort et en nous endormant avec des croyances de crétins.
Pour comprendre ce qui arrive, il faut replacer l’IA dans la perspective de cet humain augmenté qu’on cherche une fois de plus à nous vendre, c’est-à-dire un univers de mirages et d’artifices techniques qui n’a que faire de nos facultés humaines. Or sans cette humanité principalement nourrie de relations humaines, l’enrichissement promis par l’IA ne sera qu’un appauvrissement uniformisé de nos capacités. Alimentées aux mêmes sources, nos capacités à réfléchir et à inventer n’en sortiront pas renforcées. La pratique de l’IA nous rendra assurément plus paresseux et plus manipulables, accentuant ce que nous sommes déjà devenus, des enfants qui veulent tout, tout de suite.
Le pire est là, c’est-à-dire un semblant de progrès qui nous éloigne de nos vraies vies et de ce qui devrait nous guider au quotidien : rester, quoi qu’il arrive, suffisamment ancré dans le réel, là où nous sommes les plus légitimes pour voir, dire et imaginer le monde avec intelligence.
Yves Maire du Poset
PS : pour la petite histoire, j’ai interrogé une application IA au sujet d’un roman classique que je connais bien. Avec une triple demande : pourquoi lire ce roman ? Pourquoi faut-il absolument lire ce roman ? Pourquoi ce roman est-il une œuvre majeure de la littérature ?
Que dire des résultats obtenus en quelques secondes ? Rien n’est faux dans les réponses mais elles sont pauvres et convenues, sèches et sans lumière. Et puis, elles sentent tellement la recherche de complétude. Plus ennuyeuses qu’une mauvaise introduction, elles ne sont pas seulement inutiles, elles déroutent au sens où elles produisent l’exact contraire de ce qui devrait donner envie d’aller plus loin avec ce roman.
Peut-être parce que l’IA n’a tout simplement pas compris l’œuvre, c’est-à-dire l’essentiel et le vrai de cette vie racontée, ce qui est invisible à l’œil nu, cette subtilité humaine que, seule, la littérature peut exprimer… ?