Il pèse souvent un soupçon sur la gentillesse, celui du fayotage. Cela concerne surtout la gentillesse envers ses supérieurs hiérarchiques. Il y a pourtant une différence essentielle entre les deux: être gentil, c'est être soucieux des attentes de l'autre, sans attendre de retour immédiat et évident. Alors que quand on fayote, ce n'est pas pour le bien de l'autre, c'est pour son bien propre. Je suis convaincu que le fayotage ne peut pas tenir très longtemps sans être démasqué.
Être gentil, ce n'est pourtant pas très difficile. La gentillesse est un ensemble de petits riens, en apparence insignifiants mais qui changent tout. C'est anticiper les besoins de l'autre, être prévenant, dans l'empathie. Dans ce monde où tout est payant, offrez quelque chose qui n'attend rien en retour. Concrètement, cela veut dire être courtois, aimable, sincère. Si vous invitez un de vos collègues ou votre assistant au restaurant, c'est bien. Mais une fois à table, n'oubliez pas de vous intéresser vraiment à lui, à ce qui le touche personnellement.
Les rapports en entreprise sont difficiles, souvent déshumanisés. Je circule en entreprise depuis une quarantaine d'années et je suis frappé par le manque croissant de joie de vivre dans les open-spaces d'aujourd'hui. La chaleur et l'honnêteté des rapports humains sont trop souvent passées au second plan, comme quelque chose de facultatif, de superficiel. C'est une erreur.
La gentillesse profite au business parce qu'elle est synonyme de communication, d'enthousiasme et d'honnêteté. Si quelque chose ne va pas dans un dossier, le dire gentiment permet de résoudre rapidement et efficacement le problème.
Il faut rester aimable sans se faire écraser. Être gentil n'empêche pas de se fâcher, de s'imposer. On se croit souvent plus gentil qu'on ne le laisse paraître. À Sciences-Po, quand mes étudiants regardent les captations vidéos de leurs présentations, ils sont souvent surpris d'apparaître plus austères qu'ils ne le sont en réalité. Un petit sourire crispé ne suffit pas, il faut sur-jouer un peu la gentillesse pour qu'elle transparaisse.
Un conseil toutefois: il est inutile, voire risqué, de faire valoir sa gentillesse pendant un entretien d'embauche. Votre comportement parle de lui-même, pas besoin de le présenter comme un «point fort» sur votre CV. Mais vouloir jouer la carte inverse, celle de la méchanceté,en se faisant passer pour le requin prêt à tout pour la réussite de sa future entreprise, c'est faire fausse route. L'employeur risque d'avoir peur que cette énergie déshumanisée se retourne un jour contre lui.
Charles-Henry Groult