Réforme des retraites, suite…
La crainte majeure de ceux qui s’accrochent à cette réforme est l’évolution de l’espérance de vie et, bien sûr, la question de son financement.
A l’époque de l’après-guerre, le système par répartition permettait, grâce aux actifs nombreux, de financer la retraite d’inactifs peu nombreux.
Mais nous vivons aujourd’hui plus longtemps. Ainsi, en imaginant que cette espérance de vie franchisse un jour les 100 ans…, nous risquons, en théorie, de nous retrouver en difficulté pour garantir une vieillesse heureuse à nos aînés. Et, si l’on poussait plus loin le bouchon, qu’en serait-il si nous ne mourrions plus… ? Y avez-vous songé ? Pour ce faire, je vous recommande la lecture du roman « Les intermittences de la mort » de José Saramago qui évoque un pays où l’on ne meurt plus. Au début, tout le monde se réjouit mais au bout de quelque temps, les conséquences sont telles que la raison reprend sa place : il vaut mieux se remettre à mourir… ! Un roman délicieux, désopilant et profond !
Bon, je vous égare (enfin, pas tant que ça...) ; aussi, je reviens à mon sujet : commençons par reconnaître que depuis 70 ans, nous sommes passés sans encombre de 4 actifs pour 1 inactif au lendemain de la guerre, à 1,7 actif pour 1 inactif aujourd’hui. Nous avons en effet cotisé plus afin de maintenir cet esprit de solidarité qu’exige la répartition. Ensuite, ajoutons que notre richesse s’est accrue : entre 1975 et 2021, le PIB a été multiplié par 10 et les cotisations sociales ont suivi.
C’est pourquoi, aujourd’hui, le fait de passer dans les années à venir à 1,2 actif pour 1 inactif, n’oblige nullement à en faire tout un plat.
Pourtant, nous dit-on, il faudrait impérativement faire l’effort de travailler plus longtemps, la quantité de travail fourni par chacun étant LE paramètre à considérer.
En apparence, un tel raisonnement semble logique. Mais il omet toutefois un élément majeur de la problématique : l’effacement global du travail humain depuis des décennies au profit de celui de la machine qui, elle, ne cotise pas...
L’effacement du travail humain au profit de celui de la machine…
Cet effacement, avec ses hordes de chômeurs, est bien la cause principale du déséquilibre du système par répartition.
« Mais Yves, « n’entends-tu pas que le chômage est au plus bas… ? Ah bon ? Dans ce cas, rafraîchissons-nous la mémoire… »
Pour me faire comprendre, voici quelques chiffres : en 1975, au moment où j’ai commencé à travailler, il y avait en France 670 000 chômeurs, soit 2,9 % de la population active. En 2021, il y a 2 500 000 chômeurs, soit 9, 5 % de la population active (en catégorie A, c’est-à-dire les demandeurs d’emploi sans emploi, qui n’ont pas du tout travaillé dans le mois précédent et qui sont tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi). Et, si l’on ajoute les 4 autres catégories (B,C,D,E) incroyablement déconsidérées à tel point qu’on oublie qu’il s’agit tout de même de chômeurs, on arrive à un chiffre proche de 6 millions de chômeurs (tous ceux inscrits à Pôle emploi).
Entre ces deux périodes, 1975 et aujourd’hui, que voit-on ? La population active a augmenté de 30 % et celle des chômeurs de 273 % (catégorie A) ; et de 790 % si l’on considère les 5 catégories confondues. Un chiffre auquel il conviendrait de rajouter tous les radiés récents estimés à 500 000 en 2022 et puis tous ceux qui, pour nombre de raisons dont tout le monde se fiche, sont sortis des radars statistiques.
De cette réalité, personne ne parle vraiment et les medias continuent de chanter à tue-tête que le chômage baisse (la catégorie A passant de 9 points à 8 ou 7 points, voire même à 6 points…). La vérité qui exige d’inclure tous les chômeurs est plutôt cauchemardesque : il y a en France 25 à 30 % de chômeurs !
Ce chiffre ne tombe pas du ciel. Il est le résultat d’un choix politique et économique qui a renoncé au travail humain, trouvant sans doute que la machine est plus efficace et plus facile à gérer (en d’autres termes, moins enquiquinante).
Le cotisant se faisant plus rare, nous avons donc affaire, aujourd’hui, à un problème, non de dépenses écrasantes à venir mais de recettes qui, pour une grande partie, ont disparu au fil du temps.
Politique de désindustrialisation, d’automatisation aveugle, de numérisation obsessionnelle, notamment des liens humains dont chacun commence (?) à en apprécier les méfaits (surtout là où la relation commerciale ou administrative est très utile, voire fructueuse sur le plan du simple « business », ce qui est un comble…). Bref, tout ceci a produit un « stock » de non cotisants, de fainéants diront même certains…
Question : et si on remettait tout ce petit monde au travail ? Un million d’entre eux suffirait amplement à remplir toutes les caisses de la Sécurité Sociale. Comment ? Par exemple en empruntant avec conviction et fermeté la voie de la transition écologique !
Une idée, parmi d’autres pour créer des emplois utiles
Voici donc une idée parmi d’autres pour répondre plus intelligemment à nos besoins les plus élémentaires : ne pensez-vous pas qu’il serait utile de remettre au goût du jour le travail de la main au lieu de celui, systématique mais inconséquent, de la machine, polluante, bruyante et si peu efficace, pour couper les arbres, tailler les haies, ramasser les feuilles, planter… Quand je vois ces employés communaux casqués s’acharner des jours entiers sur les feuilles avec d’infernales machines à souffler, je me demande toujours comment nous en sommes arrivés à tant de stupidité.
« Mais enfin, Yves, ta remarque est bien ringarde, de tels travaux ne peuvent pas intéresser les gens, ça coûterait beaucoup trop cher et puis, c’est anecdotique… Ah bon ? Le techno-futur, vous êtes sûr que c’est mieux ? Le travail bien fait, vous savez, celui qui demande du temps, de l’observation, de l’expérience et beaucoup de subtilité dans le doigté…, ce n’est pas assez digne pour les gens ? Et avoir des cotisants en plus, ce ne serait pas moins coûteux que d’indemniser des chômeurs tristes et isolés… ? Et puis 36 000 communes avec 3 employés en plus en moyenne pour œuvrer avec leurs muscles et leur intelligence dans les jardins municipaux, mais aussi pour créer des potagers afin de s’autoalimenter localement ; avec un maraîchage produit dans l’esprit de la permaculture, vous savez, cette manière de cultiver qui, avant tout, prend soin de la terre… Allez, à la louche, ça fait 100 000 emplois… vous trouvez que c’est anecdotique… ? »
« Oui mais Yves, tu vas créer des chômeurs parmi ceux qui fabriquent les machines à souffler les feuilles… Certes, hé bien ils n’auront qu’à aller s’inscrire à Pôle emploi Pékin ou Shanghaï ! »
Une évidence éclate : la Politique, assommée par le « tout techno-capitaliste », est à cours d’idées. Elle est comme privée de capacité de réflexion. La menace environnementale en est la preuve : des poules qui ont trouvé un couteau !
Voyez le cas des retraites : ce ne sont pas les dépenses à venir qui devraient nous faire peur, c’est plutôt le tarissement des recettes dues à la disqualification du travail humain qui, in fine, aboutit à son évincement. Franchement, avec tant d’exclus, comment voulez-vous que ça marche ? Comment voulez-vous que quelque équilibre social se fasse ?
De même, et c’est une autre option pour accroître les cotisations sociales, il conviendrait de réfléchir plus sérieusement à une véritable contribution à la valeur ajoutée produite par le travail effectuée par la machine, comme complément nécessaire de cotisation au régime de Sécurité Sociale. Quand dans votre supermarché, deux caissières sont supprimées et remplacées par des machines à encaisser, n’est-il pas normal de « faire cotiser » ces machines pour la retraite de ces caissières devenues chômeuses (ne serait-ce d’ailleurs que pour contribuer aux ressources de Pôle emploi qui devra les indemniser…) ?
Bref, en attendant que le nombre de chômeurs recule, taxons davantage la richesse produite par ce qui a remplacé le travail humain. Mais hélas, à l’heure où le gouvernement s’apprête à supprimer la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), autant faire l’escalade d’un mur sans aspérité et amplement savonné…
En conclusion…
« Une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale. » C’est ce que rappelle avec force Alain Supiot dans nombre de ses livres : tel est en effet le principe qui animait les déclarations solennelles des après-guerres, celle de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en 1919 et la Déclaration de Philadelphie en 1944. Toutes affirmaient la primauté de l’idée de justice sociale et de l’esprit de solidarité qu’elle engendre. Toutes ces déclarations avaient pour but de protéger le travail humain en le mettant à distance de l’emprise du marché.
Et contrairement à ce que l’on entend sur les ondes, ces déclarations solennelles ne rejetaient aucunement le marché mais aspiraient plutôt à un juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et la préservation de l’humain dans le travail. Ce n’est pas pour rien que ce principe a été repris dans la constitution de nombre de pays au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Dans cette affaire des retraites comme dans toutes ces tentatives de revenir sur ces « conquis » sociaux, il y a une menace qui ressemble fort à celle de l’après-guerre : à l’époque, le contexte dictait le nécessaire retissage des liens entre les Français, les générations, les classes sociales, les familles même...
Aujourd’hui, face aux extravagances techniques qui numérisent tout ce qui bouge en se fichant éperdument des liens humains qui se défont inexorablement, ne sommes-nous pas dans une situation comparable ? N’est-il pas temps de se remettre à réfléchir autrement, en réintégrant le travail humain et l’esprit de solidarité qu’il contient, au cœur même de la vertu républicaine ?
Yves Maire du Poset