Après les avoir traités longtemps de « vieillards » dans l’entreprise, on va maintenant leur demander de frétiller comme des perdreaux de l’année !
Et si, pourtant, c’était une aubaine pour eux comme pour l’entreprise ?
Aujourd’hui encore, en « off », on les dits usés, lents, rigides, coûteux, inemployables, que sais-je encore… dans le même temps où, officiellement, on les incite à faire des prolongations… jusqu’à 70 ans ! On peut donc penser qu’il ne va pas être si facile de les réconcilier avec ce passé douloureux dans l’entreprise et encore moins d’imaginer ensemble un futur qu’on voudrait heureux pour tous…
Convenons qu’après le traitement d’exclusion dont ils ont bénéficié ces trente dernières années dans l’entreprise, une telle opération est ardue. Mais pour être complet sur leur sort, rappelons quelques éléments, encore d’actualité : en France, ils sont victimes d’un système absurde qui fait de l’âge un critère signifiant et exclusif, avec une consolation (si l’on peut dire) dans ce tableau sinistre : ils ne sont pas les seuls à être floués si l’on en croit le traitement réservé aux plus jeunes sur le marché du travail…
Les quinquas sont environ 8 millions et bénéficient d’un taux d’emploi parmi les plus faibles d’Europe (44,4%) ; ils ne font plus l’objet de mobilité interne, ils n’ont plus accès à la formation professionnelle et, quand ils sont au chômage, c’est en général sans espoir. Bref devant leurs carrières bloquées, il ne faut pas s’étonner que, peu à peu, s’installe un sentiment fait de fatigue et de lassitude professionnelle ! Ajoutons qu’à cet âge, bien des choses sur le plan personnel se modifient : le départ des enfants (quand ceux-ci ne sont pas au chômage), l’arrivée des petits-enfants, la prise en charge parfois de leurs parents âgés…
Autant de réalités qui les ont bousculés et poussés à déplacer leurs intérêts du « pro » vers le « perso » : moins d’amour pour la vie « pro » d’un côté et un appel fort de la vie « perso » de l’autre côté !
Pour autant, réforme des retraites oblige, cette incitation nouvelle à rester dans l’entreprise est peut-être une aubaine pour eux, comme pour l’entreprise qui, en réactivant leur motivation et leur engagement, peut espérer en tirer profit.
Depuis 3 ans, c’est à un vaste chantier auquel j’ai été confronté en accompagnant les plans Seniors de plusieurs entreprises. Après avoir vu en entretien approfondi quelques 500 quinquas, voici les enseignements que j’en ai tirés. Tout d’abord, il y a trois types de populations. Il y a ceux (1/3 environ) qui, au terme de l’entretien, repartent « reboostés » dans leur job : ils font en effet le constat qu’ils n’ont pas encore fait le tour de leur job. Il y a ceux (1/3 environ) qui font le constat qu’un rééquilibrage de leur vie « pro » et « perso » doit se faire : ils sont en plein dans l’âge où la vie personnelle a force de motivation majeure. Il y a ceux enfin (1/3 environ) dont soit le désabusement professionnel, soit le renfermement sur soi est si fort qu’un tel entretien, si approfondi soit-il, ne suffit pas : il convient là, avec eux, d’approfondir la situation.
Dans tous les cas, de nouveaux besoins, de nouvelles attentes se font jour que l’on peut considérer comme de nouvelles opportunités, pour eux comme pour l’entreprise.
Cependant ce qui ressort de ces entretiens, outre le fait qu’ils ont un fort besoin de s’exprimer sur leur situation, est ceci : les quinquas ne travaillent pas assez sur eux. Le temps, hélas, est passé par là qui les a rendus bien faibles sur les deux éléments majeurs de leur puissance professionnelle : leur offre qu’ils ne maîtrisent pas vraiment et leur relationnel devenu désertique. Sur ces deux points, il faut les aider à retrouver de la clarté et de l’ordre : si la plupart connaissent parfaitement leur métier, ils ne savent pas suffisamment expliquer quels en sont les fondements, quels sont leurs registres de performance propres. De telle sorte qu’ils ne sont pas à l’aise pour en parler savamment. De même, si la plupart sont à la tête d’un patrimoine relationnel important, ils l’ont tellement négligé qu’ils l’ont oublié. Or ces deux faiblesses ont eu pour résultats néfastes : une perte de confiance en eux et une mise en danger, côté « pro » comme, d’ailleurs, côté « perso » !
C’est ici que l’entreprise doit intervenir pour transformer le cours des choses.
Sur leur offre, il faut les inciter à redevenir acteur de leur évolution. Ce qui commence par les mettre en situation de « prendre des rendez-vous de travail avec eux-mêmes ». Il faut les équiper d’une méthode fiable et éprouvée pour leur permettre de retrouver les éléments fondamentaux de leur offre professionnelle et personnelle : leurs atouts, leurs intérêts, leur personnalité. Bref qu’ils sachent ce qui compte vraiment dans leur vie et comment faire le tri entre tous les éléments de leur parcours, qu’ils puissent distinguer ce qui, demain, devra être privilégié dans l’ordre privé comme dans l’ordre professionnel. Grâce à cela, ils reprendront confiance et sauront ainsi instaurer une certaine distance avec leurs réalités et arbitrer avec raison entre ambition professionnelle et/ou ambition personnelle. C’est à ce prix qu’ils sauront remettre du sens et de l’harmonie dans leur vie en intégrant mieux les deux sphères « pro » et « perso ».
Sur leur relationnel, il faut les sortir de cet isolement dû en grande partie à leur mise à l’écart ces dernières années dans l’entreprise comme d’ailleurs hors de l’entreprise : comment en effet parler avec confiance à l’extérieur de ce dont on n’est pas très fier à l’intérieur… ? Cela va consister à leur réapprendre comment reprendre contact avec ceux qu’ils ont perdus de vue, comment mieux « se vendre » en sachant parler de ce qu’ils ont fait, de ce sur quoi ils travaillent, de leurs projets, etc. Ré-enrichir leurs connexions, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise, possède en effet une vertu centrale : fort d’une meilleure maîtrise de son offre, cela remet en selle celui qui en est le porteur et cela l’aide, en outre, à mieux percevoir les opportunités qui peuvent se présenter et à mieux s’en imprégner pour en tirer profit.
C’est là une partie de ce qui va produire ce « meilleur » ! L’autre partie devant venir de l’entreprise : c’est en effet en s’appuyant sur les quinquas et leurs particularités que l’entreprise peut envisager de nouveaux changements vertueux !
Si, à ce stade, les solutions restent encore à construire, on peut dès à présent penser, qu’autour des axes suivants, des améliorations sont envisageables : le maintien de ses savoir-faire et leur indispensable transmission ; le renforcement des connexions intergénérationnelles avec le développement du « cross mentoring » (il faut organiser le mélange vertueux du quinqua et du « Y » !) ; le pari du collectif sur l’individualisme asséchant des dernières années ; le choix du retour du relationnel, du partage et du latéral contre celui du silo, du top/down et de l’isolement ; la mise en avant du temps précieux de la réflexion face aux désordres et aux délires impatients, parfois, de la modernité… Autant de points de convergence et d’innovation utiles pour l’entreprise comme pour les quinquas.
En résumé, ce retour des quinquas dans l’entreprise est un formidable chantier qu’il s’agit maintenant de construire avec sérieux, ce qui ne se fera pas sans effort de part et d’autre ! Plusieurs conditions sont cependant nécessaires : tout d’abord, remotiver les quinquas et obtenir leur réengagement en les y préparant ; ensuite mobiliser toute la créativité de l’entreprise afin de trouver et d’organiser ces formes nouvelles de travail mieux adaptées aux rythmes des quinquas et d’imaginer de nouveaux positionnements que leur séniorité exige !