Le 21 avril dernier, tous les politiques ont fait le même constat : s’éloigner du terrain est dangereux. Cela produit en effet de mauvaises conséquences : des résultats qui ne correspondent pas aux attentes, un abandon des changements à long terme au profit des demandes corporatistes et une vraie difficulté à rendre les citoyens actifs dans la Cité.
Malgré leur bonne résolution de retourner sur le terrain, faut-il croire un tel revirement à 180° de leurs habitudes ? Va-t-on croire le gourmand invétéré qui, dès le printemps, annonce qu’il se met au régime… ?
Sans les dédouaner, disons qu’ils ne sont pas les seuls à pratiquer la conduite au radar… Dans l’entreprise aussi, s’éloigner de ses clients comporte des risques. Rappelons-nous les déboires immobiliers de la banque dans les années 90 : trop éloignée du terrain, elle s’est aveuglée elle-même. Et avec Internet, n’a-t-on pas vu tant de décideurs perdrent leur bon sens faute de prise directe avec le terrain ?
De tels exemples font comprendre une réalité : en France, nous n’aimons pas vraiment le terrain ! Nous n’avons pas, comme dans d’autres pays, cette double culture du client et de l’expérience . Nous prêchons pour la proximité avec ceux pour qui nous travaillons mais dans la réalité, nous préférons réfléchir et décider en chambre avec le soutien éventuel de consultations scientifiques du terrain pour étayer nos inspirations. Nous disons respecter l’expérience comme une valeur sûre mais nous ne la favorisons pas. Nous ne la reconnaissons que quand elle s’impose. Voyez comme la réforme de la Validation des Acquis de l’Expérience a du mal à aboutir. Elle choque tellement notre culte de l’intelligence, du diplôme. Sinon comment expliquer qu’en France on puisse devenir patron d’un groupe de milliers de salariés ou ministre sans expérience managériale ?
Autres exemples de ce réflexe anti-terrain : dans l’entreprise, à qui confie-t-on la fonction d’ambassadeur ? Aux jeunes sans expérience et il leur faut développer les affaires… ! A l’école, quels professeurs envoie-t-on dans les lieux les plus difficiles sinon les moins expérimentés ?
Espère-t-on ainsi mieux satisfaire les clients, mieux aider les élèves en difficulté ? Et quant à ceux que l’on envoie au casse-pipe, croit-on que l’échec est plus formateur que le succès ?
La vérité est que les décideurs se méfient du terrain.
J’y vois 2 causes : l’une qui tient à notre enseignement et l’autre, conséquence de la première, à l’utilisation hypertrophiée des instruments d’analyse, comme source de connaissance du terrain.
Notre enseignement mise avec excès sur la production d’intelligence, n’apporte pas de réelle expérience des relations humaines et n’est pas assez ce lieu d’apprentissage de l’observation des réalités. Pour faire court, on peut sortir du système scolaire par le haut, avec une maîtrise parfaite de la théorie et être infirme sur l’art de gérer ses relations et l’art d’observer les réalités. Résultat : notre système scolaire ne produit pas les talents d’écouteur et d’observateur du terrain dont nos organisations politique et économique ont besoin.
Qui se ressemble s’assemble… Nos décideurs vont s’entourer des plus brillants sujets et créer de belles idées sur un tapis volant… Ainsi perchés, ils compenseront cet éloignement du terrain par une utilisation hypertrophiée de sondages, enquêtes et autres systèmes d’analyse des évolutions de la société. Nécessaires, ces outils ne remplaceront jamais la richesse de la relation avec le client ou l’électeur. Surtout si l’on veut faire de lui un acteur du changement.
Pour que les pratiques des décideurs changent, je leur suggère :
- d’introduire dans l’enseignement une pédagogie qui développe l’expérience de la confrontation humaine et la capacité à observer. Par exemple on pourrait enseigner le bricolage dès le plus jeune âge : y a-t-il plus belle occasion de mesurer l’intérêt de réfléchir avant d’agir et de développer l’observation des réalités que l’on veut transformer. Et quel formidable lieu de confrontation avec les autres !
- de rééquilibrer leurs équipes actuelles avec des gens expérimentés ayant pour mission de comprendre le terrain « de l’intérieur ». Doués d’une écoute attentive, ce sont des professionnels de l’observation. Ils savent transformer les attentes du terrain en projets et ils savent comment le mobiliser. Ils possèdent cette modestie que donne un bon équilibre entre expérience et connaissance.
Ces dernières années, les fonctions de Médiateur et de Déontologue sont apparues pour répondre à de nouveaux besoins : gérer les relations avec les administrés ou les clients, veiller à la conformité des procédures et des pratiques avec la loi.
Aujourd’hui une nouvelle fonction doit naître dans nos organisations confrontées à un monde plus que jamais complexe et ouvert : les Hommes de Terrain. Véritables professionnels de la proximité, ils devront aider les décideurs à voir et à agir avec plus de justesse.