21 janvier 2014 2 21 /01 /janvier /2014 16:07

Les-Echos-21-janv-2014.jpgPierre ROSANVALLON, professeur au Collège de France, veut redonner de la visibilité aux « oubliés » de la société. Une ambition dont l´entreprise aurait tout intérêt à s´inspirer pour sortir de ses excès passés et redonner de la vigueur et de la performance à la communauté qu´elle représente !

 

L’ambition de Pierre ROSANVALLON est à la fois grande et simple : redonner de la visibilité aux invisibles de la société, c’est-à-dire à tous ceux dont les vies et trajectoires, depuis 30 ans, ont disparu des écrans : chômeurs, ouvriers, cadres en fin de carrière, précaires de toutes sortes, gens aux fonctions de sous-traitance devenues obscures… Son idée : les engager à raconter leur vie afin de faire remonter à la surface un peu de leur puissance et de leur fierté. Par la narration, il s’agit de faire sortir ces vies personnelles et professionnelles de l’ombre dans laquelle elles sont plongées. C’est, selon lui, le meilleur moyen de réactiver le lien social que notre société moderne s’échine à détruire !  

 

L’entreprise ne devrait-elle pas, elle aussi, s’inspirer d’une telle ambition afin de recréer en son sein ces liens perdus durant ces 30 dernières années et qui ont indiscutablement entamé sa performance ? Car l’entreprise est confrontée à un contexte terriblement exigeant et à des changements perpétuels dont les effets ne sont pas tous suivis de bénéfices sur le plan humain : le formidable développement des outils techniques, la croyance au génie des organisations matricielles faisant parfois fi de tout bon sens, le primat des réductions de coûts bien souvent au détriment de toute innovation*, l’incessante fracturation des groupes se cédant, se reprenant, se « spin offant »…, l’éventail des rémunérations s’ouvrant à l’extrême dès la fin des années 80 et son effet clivant malheureux, etc.  

 

Autant d’excès qui n’ont pas toujours été synonymes pour l’entreprise de qualité. En délaissant ce versant humain au profit de celui de la technicité, de l’ordre gestionnaire et du profit avant tout, l’entreprise a fabriqué ce cloisonnement propice à l’ignorance des uns par rapport aux autres. Elle a du coup asséché un relationnel dont elle a pourtant le plus grand besoin. N’est-il pas en effet l’un des ingrédients majeurs de la réussite économique et surtout le plus sûr moyen de  lutter contre ces mornes tendances des 30 dernières années ? Oui, ce qui manque aujourd’hui à l’entreprise, c’est ce temps, ces liens et cette humanité sur lesquels elle n’a pas suffisamment puisé. Avec les résultats que l’on sait, dont la défiance qu’elle suscite n’est pas la moindre. C’est pourquoi remettre un peu de ces bons ingrédients dans l’entreprise, comme Pierre ROSANVALLON souhaite le faire dans la société, n’est pas seulement nécessaire pour recréer un esprit de communauté en son sein mais vital comme un pas vers l’équilibre !

 

Dans mon métier qui consiste à accompagner des cadres et dirigeants dans leur repositionnement professionnel, l’un des aspects qui frappe en effet le plus est leur grande difficulté à parler d’eux mais aussi à sortir de leur isolement. Et, en écrivant il y a 7 ans « L’art de parler de soi », j’avais déjà la même conviction : il fallait permettre à ces personnes de sortir de cet état de déprime latent et les aider à retrouver ces « fils fragiles » de leur histoire dont parle Pierre ROSANVALLON puis les aider à reconstruire ce récit nécessaire pour promouvoir leur offre professionnelle. Et leur donner ainsi les moyens de re-fabriquer aisément du lien pour rebondir dans ou hors de l’entreprise. L’équilibre entre la technique et l’humain s’étant défait, il me paraissait urgent de le rétablir.   

 

Pour l’entreprise comme pour la société, redonner la parole et reconstruire le lien est un enjeu de taille : en aidant les personnes à retrouver ce qui fait la force de leur histoire, en favorisant de la sorte la connaissance mutuelle de chacun, des métiers, des fonctions, des hiérarchies…, en participant au décloisonnement déprimant de ses organisations et de ses acteurs redevenus enfin visibles et reconnus, l’entreprise fait un pari de croissance vertueux : celui d’une performance accrue et partagée par sa communauté tout entière.

Yves Maire du Poset 

* n’y-a-t-il pas là une part des raisons de notre difficulté à récréer des emplois ?

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