12 janvier 2008
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En décembre, le droit individuel au Bilan de compétences a eu 16 ans. Or ce droit qui devait permettre aux salariés de mieux prendre en main leur évolution a bien du mal à entrer dans les mœurs : moins de 0.5 % de la population salariée en bénéficie tous les ans*.
A ce constat, deux explications. D’abord, un problème d’image et des pratiques déroutantes : né sur les décombres de la sidérurgie dans les années 80 et, malgré son institutionnalisation en décembre 1991, il reste marqué par le chômage auquel il était censé apporter une solution. Dans la plupart des cas, un Bilan est utilisé pour accompagner des salariés en souffrance professionnelle ou pour résoudre une situation de crise. Au mieux, il est fait dans la défiance (du DRH qui s’étonne d’un tel besoin exprimé par le salarié et du salarié qui s’inquiète d’une telle demande venant du DRH). Au pire, il est effectué en catimini (plus de 50 % sont faits de manière confidentielle, hors de l’entreprise*). Infiniment rares sont les cas où une concertation tripartite (salarié, hiérarchie et DRH) permet d’intégrer ses effets positifs dans le projet de l’entreprise. Il faut ensuite rappeler que l’offre est incompréhensible. Comment en effet s’y retrouver dans cette jungle de produits aux prix et aux prestations les plus étranges ? De 800 à 10 000 € pour des Bilans qui, sur le papier, ne sont guère différents et des intitulés qui se prennent les pieds dans le tapis : le Bilan de compétences approfondi (BCA) de l’ANPE qui se présente comme une version a minima (y compris pour le prix) du Bilan de compétences traditionnel avec en plus l’idée d’accélérer le retour à l’emploi… ! ou le Bilan de compétences collectif fait par l’APEC, à l’encontre même du caractère individuel de l’exercice ou bien encore le Bilan fait au sein de l’entreprise qui neutralise l’intérêt du regard extérieur apporté par le consultant. Bref une image et une offre qui ont enterré le produit.
Le Bilan de compétences mérite pourtant mieux et il est temps qu’il trouve son marché. D’abord parce qu’il est ce formidable outil aux trois éclairages irremplaçables face à un monde qui change de plus en plus vite. Eclairage sur soi : en faisant travailler le salarié sur ses compétences, ses motivations personnelles et sa personnalité, il lui donne de la clarté sur son employabilité, sur ses atouts et ses faiblesses. En faisant disparaître cet aveuglement dans lequel irrémédiablement nos réalités nous enferment, il fait ressortir la vraie valeur ajoutée professionnelle et personnelle de chacun. En favorisant la reconnaissance de soi, le Bilan tue l’inquiétude du salarié, ce dont il a aujourd’hui le plus grand besoin. Faut-il rappeler qu’il se traduit, dans la plupart des cas, non par une réorientation ou un nouveau désir de mobilité complexe à gérer mais par un retour tranquille dans son poste actuel avec, en prime, davantage de mobilisation et des clés pour repartir en meilleure harmonie avec l’environnement qui est le sien, avec sa hiérarchie et avec les autres. Il rend plus autonome et plus entrepreneurial. Oui, le Bilan fabrique de la paix et du mouvement positif dans l’entreprise ! Eclairage sur le marché : le Bilan est une occasion unique pour le salarié de se re-confronter aux réalités du marché (interne à l’entreprise mais aussi externe) dont il s’est le plus souvent déconnecté à son insu au fil du temps. Il favorise une ouverture à 180° de sa réflexion tout en l’obligeant à se souvenir du sacro-saint principe de réalité. Il permet en outre la re-connexion avec son réseau toujours négligé. Oui, le Bilan rend raisonnable et force le salarié aux retrouvailles ! Eclairage enfin sur l’avenir : il s’achève en redonnant au salarié ce « goût de l’avenir » dont Max Weber disait qu’il est le fondement de la politique. N’est-ce pas cela redonner du sens à nos actions ? Avec ses éclairages et les moyens concrets qu’il apporte aux salariés pour aborder l’étape suivante, il est le meilleur atout d’un gestionnaire de carrières et d’un manager d’équipe.
Mais alors, pour réduire cet écart entre ce que le Bilan produit et ce qu’il pourrait produire, faut-il l’institutionnaliser davantage en le normalisant ? Surtout pas, ce serait accélérer son enterrement. On peut le dynamiser en mettant en œuvre quatre idées simples. Incitons les managers (opérationnels et DRH) à faire personnellement un Bilan de compétences de manière systématique : comment en effet promouvoir un tel outil si l’on ne sait pas précisément à quoi il sert et ce qu’il y a dedans ? La lecture d’un descriptif ne suffit pas pour savoir de l’intérieur ce qu’apporte une telle aventure. Aussi, dirigeants, exigez de le voir figurer au programme de formation de vos cadres ; c’est le meilleur moyen de le faire adopter comme un véritable outil de gestion de carrière et non plus comme un outil de dernier recours. Rebaptisons-le : le Bilan de compétences est réducteur. Il y est question de tant de choses dont la compétence n’est qu’un aspect. De même ce regard trop exclusivement porté sur le passé professionnel fait fi de sa vocation première qui est de construire l’avenir en incluant les aspects personnels. Aussi, je suggère un titre comportant les idées de réflexion personnelle et d’avenir : « Le PEPP » (Le Plan d’Evolution Professionnelle et Personnelle). Proposons-le aux salariés comme un instrument préalable de développement de leurs compétences. Avec toutefois cette particularité : il faut agir au niveau de l’équipe et non de l’entreprise, et utiliser bien évidemment le DIF. En réunissant ainsi besoins de formation individuels et besoins de formation collectifs, il permettra d’optimiser l’effort de formation ! Cela obligera aussi le manager à s’y familiariser. Enfin enrichissons-le en offrant systématiquement à son bénéficiaire de se perfectionner, dans la foulée, sur les outils de communication personnelle pour promouvoir son projet.
N’est-ce pas là l’un des bons moyens de tenter de contrer ce climat de démobilisation et de défiance qui couve sous la cendre dans l’entreprise ? Climat délétère dont de nombreuses enquêtes et 3 livres récents* font état et dont les conséquences fâcheuses pèsent tant sur notre capacité à développer notre croissance.
Yves Maire du Poset
* Enquête DARES février 2005
* Enquête BIOP (CCIP) janvier 2006
* Enquête BIOP (CCIP) janvier 2006
* Livres de Thomas Philippon (Le capitalisme d’héritiers, la crise française du travail au Seuil), celui de Pierre Cahuc et Yan Algan (La société de défiance chez Editions rue d’Ulm) et celui de Jean-Marie Descarpentries et Philippe Korda (L’entreprise réconciliée, comment libérer le potentiel des organisations chez Albin Michel)