Vendredi soir, je n’ai pas vraiment vu la cérémonie d’ouverture des JO, plongé que j’étais dans la lecture du livre « Le monde d’hier » de Stefan Zweig.
Cependant, de temps en temps, je posais mon livre et changeais de pièce pour jeter un œil sur un ordinateur branché sur cette cérémonie. J’ai donc entre-aperçu quelques scènes de cette fête.
Que dire sinon ma stupéfaction devant cette mise en scène à la fois grandiose et réussie dans son intention de dérouler la gloire de la France en suivant le cours de la Seine mais parfois, dans certaines séquences, si décevante. Peut-être la charge symbolique était-elle si lourde ou les spectacles étaient-ils si étrangers à ce à quoi je m’attendais que je n’ai pas su en discerner les messages ? Et puis, je me suis dit que l’attention que je prêtais à ma lecture avait dévitalisé celle, furtive, que je portais à cette cérémonie. Mais la vérité est que ce que je lisais lui faisait écho.
Ce moment de lecture raconte le retour de l’auteur en Autriche après plusieurs années de guerre passées en Suisse. Son pays est une immense désolation : vaincu, dépecé, affamé ; sa monnaie disparaît au profit du troc ; tout se délite, le pays est à l’os.
Là se fait le lien avec cette cérémonie des JO : derrière ces tragiques événements, il y a une jeunesse impatiente de reprendre le cours des choses qui, dans la guerre, a si mal tourné. Elle veut se venger du monde des parents. Et l’un des lieux privilégiés de la vengeance, c’est l’art. Rembrandt, Holbein et Vélasquez sont mis à l’index au profit de formes plus libres mais dont la grammaire finit par échapper au commun des mortels ; dans l’art pictural comme dans celui des lettres ou de la musique, c’est la liberté du créateur qui compte et non plus la liberté de celui à qui l’œuvre est destinée. Dès lors, tout le monde se met à suivre ce penchant libertaire. Zweig écrit en s’en moquant, que « De vieux barbons d’académie compassés recouvraient leurs anciennes « natures mortes », devenues invendables, d’hexaèdres et de cubes symboliques parce que les jeunes conservateurs des musées éliminaient des salles tous les autres tableaux trop classiques et les mettaient en dépôt. » Bref, ajoute-t-il : « un monde extravagant et incontrôlable connaissait un âge d’or. » Ou encore : « on proscrivait sans appel toute forme de normalité et de mesure. »
Or il me semble que c’est à une même dérive à laquelle j’ai assisté hier soir (heureusement pas toujours) : des productions « artistiques » qui se lâchent, molles et sans beauté. Par exemple la Cène « re-genrée », un danseur étoile en jupette, le défilé d’une femme à barbe ou d’un homme âgé en robe fuseau, une chanteuse interprétant une chanson d’Aznavour dont je n’ai pas compris un traître mot ni même reconnu l’air (alors que je la connais par cœur depuis plus de 60 ans…), un Dionysos bleuté et sans voix…
Franchement, je me demande si nous ne sommes pas dans une sorte de désordre culturel comme celui que décrit Zweig au lendemain de la guerre de 14/18. Comment a-t-on pu s’écarter à ce point - ne serait-ce que pour rester conforme à l’esprit des JO et du sport - d’une ligne consistant à promouvoir la richesse culturelle de la France dans ce qu’elle a d’universel et d’exemplaire ? Pourquoi, dans ces quelques séquences, avoir préféré jouer la carte de l’ « ado » fâché avec le passé, toujours désireux de choquer et si avide de paillettes ?
Et puis… - je sais, c’est un autre sujet - n’est-il pas urgent d’arrêter de céder sans retenue à un monde aveuglé par l’argent ? La sobriété n’est-elle pas le premier des moyens de faire naître un art authentique ?
Yves Maire du Poset