14 octobre 2021 4 14 /10 /octobre /2021 16:44

Mesdames et messieurs les membres de la commission « Les lumières à l’ère numérique »,

Ainsi donc, vous êtes mandatés par le Président de la République pour contenir l’hystérie qui fleurirait dans les nouveaux médias.

Nous vivrions désormais sous le joug d’un désordre médiatique inondant le marché de fausses nouvelles, de manipulations éhontées et d’esprit de complot, derrière lesquels se cacherait un invisible pouvoir menaçant d’emporter la démocratie et notre raison même. Face à quoi il serait temps de réagir.

Permettez alors à un simple citoyen de rappeler quelques conseils judicieux livrés par l’un de nos maîtres, très expérimenté sur ce sujet.

Dans « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre » (1921), Marc Bloch écrit ceci : « L’erreur ne se propage, ne s’amplifie, ne vit enfin qu’à une condition : trouver dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable. » Plus loin, il ajoute : « La fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance… la fausse nouvelle est le miroir où “la conscience collective” contemple ses propres traits. »

Puis il souligne à propos de ces soldats terrés comme des rats dans les tranchées : « On ne dira jamais assez à quel point l’émotion et la fatigue détruisent le sens critique. » Enfin, il explique en quoi cette terrible solitude du soldat, est ce qui favorise l’émergence des mythes et autres fausses nouvelles ; et qu’à l’inverse : « Des relations fréquentes entre les hommes rendent aisée la  comparaison entre les différents récits et par là même excitent le sens critique. »

Mesdames et messieurs les membres de cette commission, tout est dit. L’ennemi n’est pas la fausse nouvelle ou le complot mais ce qui les fait naître.

Ne perdez donc pas votre temps (et notre argent) à chercher les raisons d’un désordre médiatique ailleurs que là où il se trouve : depuis deux ans, nous vivons dans un monde où règnent la peur, le repli sur soi, et une fatigue immense pour tous, que vient prolonger un « pass » sanitaire indigne au regard des principes fondamentaux de la République.

Une peur sans retenue a en effet été martelée dès le démarrage par les autorités publiques et les médias ; un repli sur soi dû à un confinement orchestré à une échelle jamais vue et inconséquent quant à la défiance et l’atrophie de nos liens, a été institué ; enfin, au bout du compte, une fatigue physique et psychique a pris le pas sur ce qui caractérise le plus le genre humain : l’action et la convivialité.  

Dans tous les domaines, familial, amical, associatif et professionnel nous avons été sommés de réduire ce besoin naturel d’agir avec les autres.

Ajoutons que, depuis deux ans, cette crise a été marquée par une absence de débat qui a entraîné une démotivation et un désengagement forts vis-à-vis de la chose publique. Une absence de débat due principalement à l’amaigrissement et à l’uniformisation depuis plusieurs dizaines d’années du champ médiatique classique (journaux et télévisions), désormais entre les mains de quelques puissants entrepreneurs, sans qualification dans ce domaine. L’épisode du virus est révélateur : tous ces médias classiques disent la même chose !

Notre sort, me direz-vous, ne fut pourtant pas celui des soldats dans les tranchées… C’est vrai mais le résultat est-il de nature différente ?

Mesdames et messieurs les membres de cette commission, vous voulez créer une savante organisation pour tracer, traquer et trucider dans l’œuf toute forme d’esprit de complot ou de fausses nouvelles. Vous rêvez d’une cité où, grâce à une information régulée, les Français, de nouveau, marcheront droit. Avec dans votre besace de « nouveaux » outils comportementaux tels les « nudges » (coups de pouce) pour faire revenir les Français dans le champ de la raison. Un petit coup de pouce, et hop, chacun se remettra gentiment dans le bon sillage… Mais vous aurait-il échappé que « nudge » en anglais veut dire coup de coude, ce qui est bien plus musclé… Du coup, on peut s’interroger : pour réguler les mauvais biais cognitifs des Français, ne seriez-vous pas tenté par les coups de pied au c… ?

Franchement, croyez-vous vraiment à l’intérêt d’un tel projet ou faites-vous semblant pour servir d’autres raisons de stratégie politique ?

Car enfin, qu’est-ce qu’on en a à faire de ces « conspiratiocomplotofalsificateurs » ? S’il convient de lutter contre eux, ne pensez-vous pas qu’il faut plutôt agir en début de chaîne, c’est-à-dire reprendre le chemin des écoliers, reconstruire des lieux de débat, favoriser l’émergence de vraies représentations de citoyens, de partis politiques et de syndicats dignes de ce nom ? De même qu’il semble plus que raisonnable de reconstruire très vite de la diversité dans le champ médiatique classique, ne serait-ce que pour une raison d’équilibre face à la bulle des réseaux sociaux.

Aussi, ne pensez-vous pas qu’il est grand temps de rassembler les Français au lieu de s’acharner à semer la défiance, à opposer les uns aux autres, à transformer chacun en contrôleur de tous ? Ne pensez-vous pas qu’il y a mieux à faire que de frapper d’opprobre qui s’écarte de la conformité voulue ? Et ne vous appartient-il pas de réfléchir au retour d’un véritable débat démocratique, apaisé, dans la confiance, partout où cela est possible. Je pense par exemple au retour des médecins généralistes dans le débat sanitaire qui en ont été volontairement exclus ; mais également au monde associatif dans la sphère sociale qui, si l’on considère son poids dans la bonne marche de la société, n’a jamais reçu l’attention qu’il mérite : à quand un ministère dédié au monde associatif ?

Croyez-moi, revenez à Marc Bloch qui, dans ce même essai, montre que la source de ces fausses nouvelles ne se trouve pas dans des explications éthérées où règnent des concepts inutiles mais plutôt, dit-il avec humour, là où les gens travaillent et agissent : « L’agora de ce petit monde des tranchées, ce furent les cuisines. »  

Oui, n’ayez pas peur des cuisines, montrez-vous-y, ne restez pas entre vous ! Vous verrez, en écoutant ceux qui font le quotidien, votre diagnostic changera et les solutions arriveront.

Mesdames et messieurs les membres de cette commission, ne vous trompez pas de sujet, ce dont les Français ont besoin aujourd’hui, c’est de repartir, ensemble, avec enthousiasme ; ils n’ont aucun besoin de lois nouvelles et de règles supplémentaires pour reprendre le chemin des autres !

Yves Maire du Poset

Lien sur LinkedIn : (20) Lettre ouverte aux membres de la commission contre le « complotisme » | LinkedIn

Partager cet article
Repost0

commentaires

Mes livres

Pour acheter un livre directement sur le site des Editions Leduc, cliquez sur l'image

 

 

 

 

 

 

 

livre Décrochez le job de vos reves

 

 

 

 

 

 

 

livre Toutes les clés du savoir vivre