27 mai 2020 3 27 /05 /mai /2020 09:42
Après le virus, panser le monde… (LinkedIn le 25 mai 2020)

Et si cette crise virale était l’occasion de calmer nos extravagances, nos démesures pour nous remettre en mouvement, ensemble, vers plus d’humanité… ?

Avec les ravages du Covid-19 sur la marche du monde, beaucoup se demandent à quoi ressemblera « l’après » ? Avec en général trois questionnements sous lesquels se trouvent une certitude individuelle : allons-nous reprendre à l’identique le cours de l’histoire, c’est-à-dire… accélérer ? allons-nous définitivement cesser la marche du progressisme, c’est-à-dire… revenir quelques siècles en arrière ? ou bien, allons-nous transformer ce monde, c’est-à-dire… nous mettre à réfléchir sérieusement à ce que nous en avons fait jusqu’à présent et à ce que nous pourrions en faire ?   

Nos extravagances en question. Car quand on entend aujourd’hui nos craintes, nos peurs, nos alarmes ou parfois nos révoltes…,  transformer plutôt qu’accélérer ou rétropédaler, semble la voie la plus raisonnable. Mais cette option suppose de se mettre d’accord sur un corps de constats dont voici quelques traits marquants : depuis plus de deux siècles, nous avons mené notre monde comme un cheval à qui on aurait laissé la bride sur le cou. Avec comme résultat beaucoup d’extravagances : extravagance d’un gigantisme technique énergivore qui a largement profité de la nature tout en la polluant aveuglément ; extravagance d’une avidité obsédée par le chiffrage de tout ce qui bouge ; extravagance qui n’a eu de cesse de déconsidérer l’Homme en morcelant son travail, parfois même en l’en privant, faisant de lui, au mieux un « intermittent de la production », au pire, un exclu de pans entiers de l’économie : n’est-ce pas le bon moment de nous souvenir que, dans cette crise, nous devons notre survie davantage à la solidarité de ceux qui comptent peu (dit-on…) qu’à celle de ceux qui comptent beaucoup… ? Extravagances encore dont celle qui fait de chacun un consommateur manipulé de l’inutile et, demain, un corps à manipuler car cela rapporte ; extravagance d’une ouverture mondiale frénétique dont l’exigence de processus à flux tendus écrase le temps individuel ; un temps individuel désormais assailli par tant de distractions venues des réseaux, si rieuses et ricaneuses que le temps de penser à l’essentiel est réduit comme peau de chagrin…, la liste de ces extravagances et de nos abandons est longue !

Extravagances et démesures aux conséquences destructrices quand on songe à la fonte des glaces, à la libération des gaz contenus dans le permafrost, à l’acidification des océans, à la disparition de la biodiversité… Et je ne parle pas du cauchemar, une fois les seuils fatidiques franchis, des basculements envisagés par les spécialistes vers des suites inconnues comme le réchauffement climatique, sans leviers de commande maîtrisés, faute tout simplement, d’expérience… Exemple pratico pratique : que ferons-nous des étés torrides à venir qui nous feront désirer la fraîcheur des caves (encore faudra-t-il en avoir une…) ?  

Avec le virus, nous sommes désormais masqués. Mais demain, faudra-t-il que nous soyons gantés, peut-être même vêtus comme des cosmonautes débarqués sur Mars… pour nous protéger des risques viraux d’un monde animal sauvage rendu de plus en plus proche dans le seul but d’exploiter le marché juteux qu’il représente (la thèse de la proximité est confirmée par les plus grands épidémiologistes de terrain en Asie mais aussi en Occident).

La réalité est que, depuis 40 ans, nous assistons au retrait d’une puissance politique dévêtue peu à peu de ses rôles collectifs de long terme au profit de la puissance technico économique vissée sur son intérêt à court terme. Or une fois les dégâts constatés comme autant de boomerangs pris en pleine figure, cette puissance politique est maintenant appelée à reprendre ses habits de sauveur suprême avec les quelques guenilles qui lui restent…

Bien que légion, de telles aberrations peinent pourtant à nous faire comprendre une réalité simple : nous produisons nos malheurs avec une désinvolture telle que la fameuse phrase attribuée à Bossuet déplorant ceux qui maudissent les conséquences de causes qu'ils vénèrent n’a jamais été autant d’actualité.

Bref, nous déciderons-nous un jour à cesser de jouer avec le feu et à calmer un système économique que rien ne semble arrêter ?

« Pourtant, ce système sans doute trop technique, trop disproportionné, trop économiste, trop… a su sortir de la pauvreté des millions de gens de par le monde » rétorque-t-on le plus souvent quand il s’agit de le défendre. Mais que vaut un tel argument quand on sait que ceux-ci seront les premiers « bénéficiaires » des conséquences infernales de telles extravagances… ainsi que le prouve la crise du Covid-19 ? 

Balzac, au secours ! Dans Le Curé de Tours, Balzac dit quelque chose qui donne à réfléchir : « Nous vivons à une époque où le défaut des gouvernements est d’avoir moins fait la Société pour l’Homme, que l’Homme pour la société ». Et si, depuis l’ère industrielle, nous avions cherché de manière excessive la satisfaction de la Société au détriment de celle de l’Homme ? (en parlant de la Société et de l’Homme, je prends de la distance ou plutôt de la hauteur par souci de clarté et de simplicité avec le vieux combat du collectif et de l’individualisme mais sans toutefois le nier, bien au contraire).

Et si le temps était venu de changer de priorité en se demandant ce qui est le plus important ? Question d’équilibre et d’époque me direz-vous… Certes car rien n’avance sans cet outil de contrôle incomparable qu’est l’équilibre ; pensons au navigateur confronté à la prise au vent optimale de sa voile toujours frôlant le risque de dessaler… C’est pourquoi, en considérant ces extravagances, je me demande s’il n’est pas temps de s’interroger : qui, pour plus d’équilibre entre l’Homme et la Société, doit s’adapter à l’autre ?

D’ailleurs qui sait… peut-être cette voie de la transformation pourra-t-elle se faire en conservant une part de nos amours passées, de ce progrès jouissif mais dont il faudra modérer l’ivresse pleine de dangers immenses… et peut-être pourra-t-elle se faire en conservant une part de ce rêve d’un monde d’autrefois, plus calme, plus lent et plus simple mais en se défiant des dangers de l’archaïsme… ?

Mais ne rêvons pas trop : une telle conciliation d’options contraires, proche du vieux thème d’un capitalisme à visage humain, ne peut s’envisager qu’à deux conditions : la reprise en main du « tout technico économisme » aveugle, et la volonté politique de remettre de l’humain dans tous nos projets.

L’après est notre affaire ! Alors, pour qu’une telle transformation sans chaos et avec le concours de tous soit possible, commençons par nous demander individuellement, quel est ce monde dans lequel nous voulons vivre désormais ? L’économiste Gaël Giraud dit que nous sommes dans une situation de panne eschatologique, c’est-à-dire sans un horizon commun, avec sa limite et son au-delà. Si nous voulons en retrouver le chemin, sachons nous impliquer dans cette transformation en partant de l’examen du monde tel qu’il est, avec ses systèmes, politique, culturel, technique, économique et social… Suivons la suggestion de Bruno Latour de remettre au goût du jour les cahiers de doléances de 1789* : demandons-nous sur tous ces sujets qui sont les nôtres, des plus grands aux plus petits, ce qui est nécessaire, ce qui est utile ainsi que ce qui est bon et mieux. Il s’agit là de se mettre à l’épreuve, d’abord personnellement puis ensemble avec nos proches, nos relations, nos groupes. Décidons que l’Homme est le but ultime et travaillons sur la Société comme moyen d’y parvenir.

Compliqué, diront certains… Ne nous leurrons pas, envisager « l’après » est un chantier à la mesure du gigantisme des excès que nous avons créés mais nous seuls pouvons le mener. Encore faut-il que nous soyons capables de réarmer notre capacité de penser, sans doute ensommeillée par trop de facilité et d’aveuglement malheureux. Comme naguère, avec ce temps béni des cahiers de doléances, reprenons le contrôle de nos vies. Telle est la première étape pour panser nos plaies !   

Yves Maire du Poset

* lire l’article de Bruno Latour (philosophe et sociologue, Professeur émérite au médialab de Sciences Po) dans AOC 30 mars 2020 : Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise : https://aoc.media/opinion/2020/03/29/imaginer-les-gestes-barrieres-contre-le-retour-a-la-production-davant-crise/ (sans abonnement, vous pouvez avoir accès gratuitement à 3 articles d’AOC par mois). Pour aller plus loin, lire son livre : « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ? »

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