Comment rester libre en prison… ?
Voici le secret d’un journaliste actuellement en prison pour conserver un peu de sa liberté malgré tout… Une leçon utile pour chacun d’entre nous face à un monde dont les excès doivent être mieux contrôlés !
Echapper à l'enfermement. Célèbre écrivain et journaliste turc, injustement condamné depuis le putsch manqué de 2016, Ahmet Altan écrit depuis sa prison où il pense finir sa vie. Il a 68 ans, son horizon se réduit. Il y évoque cette dure condition de prisonnier, ses difficultés matérielles comme celles dues à la promiscuité. Rien ne nous échappe de ses réflexions, de sa révolte et du temps qui s’alourdit. Mais ce n’est pas l’essentiel. Ahmet nous parle avec profondeur de la force intérieure qui l’anime, de cette capacité à se retrancher dans ses pensées, dans ses rêves et ses souvenirs. C’est un homme de culture qui sait y puiser pour échapper à la réalité. Aussi, il retrouve nombre d’expériences semblables à la sienne qui nourrissent le secours dont il a besoin pour échapper à l’étouffement de ces quatre murs. Ce lieu fait pour diminuer, pour meurtrir, il sait le quitter pour revivre, dehors ! Il observe et absorbe tout ce qu’il voit, il s’exprime peu mais il écoute attentivement ses compagnons de détention. Il s’approprie ce matériau pour, le temps d’une escapade, faire respirer cette liberté intérieure retrouvée. Par exemple, grâce à l’histoire vécue de l’un de ses compagnons de détention, il découvre le génie et la puissance de la volonté. Il s’en empare et se l’applique dans les situations extrêmes. Il se préserve ainsi de leurs sinistres conséquences. Dedans, il obéit sagement mais pour mieux s’évader en pensée, il désobéit incognito. Car que peut-il faire d’autre que d’avoir le courage de renoncer, pour l’instant… ?
Notre prison dorée. Quel rapport avec ce que nous vivons ? Aucun. Du moins en apparence. Car voici où je veux en venir : nous croyons vivre dans un monde libre, désormais ouvert sur un horizon à 360° dont tant de réjouissances techniques nous enchantent. Mais ce monde où les menaces se multiplient et où la part de l’humain s’amenuise tous les jours, n’est-il pas en réalité une immense prison en construction ? Insidieusement, en nous occupant l’esprit avec des écrans agités et en atrophiant nos relations avec l’équivalent de ces « petites méchancetés et humiliations » infligées au prisonniers, en nous privant in fine de cette capacité de penser qui devrait être notre marque distinctive, ce nouveau monde ne nous enferme-t-il pas dans une matérialité avilissante comme la prison en recèle à profusion ?
Or Ahmet Altan nous dit que rien n’est fatal. Bien au contraire. Comme lui dans sa prison, nous pouvons contrecarrer cette injonction moderniste, non en la niant mais plutôt en nous en emparant afin de reprendre le contrôle de nos vies. Le moyen ? Redonner à notre capacité à penser par nous-même cette puissance qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Tous les jours, se dire que nous pouvons résister ; qu’en nous se trouve la force du passe-muraille qu’Ahmet attribue, en ce qui le concerne, à son état d’écrivain. Oui, là où nous sommes et quelle que soit notre condition, nous pouvons atténuer ce qui ne cesse de vouloir nous déséquilibrer. De la plus petite cellule sociale en passant par l’entreprise jusqu’à l’organisation politique du monde, nous pouvons, si nous le voulons, remettre de la culture au centre de nos réflexions, de nos relations et de nos actions. Non pour empêcher le mouvement du monde mais pour en infléchir le cours et le remettre dans le droit chemin de l’équilibre. Le livre d’Ahmet Altan en est la preuve. J’ose vous conseiller de le lire. Et puis… c’est une idée pleine d’espérance pour un cadeau de Noël !
Yves Maire du Poset
Article paru sur LinkedIn le 11 décembre 2019 : https://www.linkedin.com/pulse/comment-rester-libre-en-prison-yves-maire-du-poset