Indécision, incertitude, menace de désertion massive… ponctuent cette présidentielle. Tout se passe comme si les politiques ne parvenaient pas à convaincre les Français d’aller voter.
Quelle clé leur manque-t-il pour parvenir à les mobiliser ?
J’aime le mot d’Emmanuel BERL : je n’écris pas pour dire ce que je pense mais pour le savoir. Comme beaucoup, je suis inquiet du temps présent et de la tournure que l’avenir prend. Aussi, j’éprouve ce besoin de mettre en mots ce que je n’entends ni ne lis nulle part ; avec l’espoir sans doute un peu naïf, d’y parvenir…
A quelques semaines de la présidentielle, que voyons-nous ? Une absence de débats et un déballage de programmes convenus, de constats, de chiffres si froids et si insignifiants que les Français, déroutés, restent en retrait : ils n’adhèrent pas et manifestent comme jamais leur volonté de s’abstenir ou de voter blanc ; et quand ils se mobilisent, c’est le plus souvent par dépit ou par faiblesse : ils veulent un sauveur, une idole…
Dans cette présidentielle, quelque chose manque ! Quelque chose qui ferait que les auteurs de ces programmes soient suivis !
Je vous livre une idée : comme le sait un bon médecin, le succès de la guérison appartient à celui qui, après le temps d’une observation sérieuse et l’étroite complicité du malade, identifie et désigne le mal en le nommant. Cela s’appelle faire un diagnostic. Or où est ce véritable diagnostic sur l’état de la France ? Où est ce levier puissant pour mobiliser les Français sur leur guérison ? Les ordonnances affluent mais le diagnostic, je ne le vois nulle part. Et ne me dites pas que pointer le niveau d’endettement ou le poids des dépenses publiques est un diagnostic sérieux. Dire que le malade a de la fièvre est du même ordre, il ne s’agit là que d’un simple constat qui ne règle rien. J’ajoute qu’un bon diagnostic comporte une ouverture sur l’avenir : quelle vie puis-je espérer avoir si je guéris ?
Voici en quelques lignes mes constats : sur la démesure qui marque l’époque sur tant de sujets, les Français ressentent un sentiment d’impuissance qu’ils ne peuvent plus supporter. Ils ne savent pas comment sortir de ces excès. Ils sont inquiets. Pire, ils sentent que ceux-là même qui devraient maîtriser ces questions, les politiques, sont dans la même difficulté qu’eux. Ce mal dont ils souffrent est la conséquence d’une technicité et d’une mondialisation hypertrophiée dont l’omniprésence désagrège leur vie de tous les jours, leur travail, leurs Institutions, leur santé, leur territoire… Or parce que ce mal n’a pas fait l’objet d’un diagnostic sérieux et partagé, il continue de se répandre. Ce mal a un nom : la dépression. Celle qui terrasse tout sujet conscient qui perd la main sur la conduite de sa vie.
En procédant ainsi, c’est-à-dire en exprimant les inquiétudes supposées des Français, un diagnostic fait davantage qu’un simple constat. Il entre dans le champ de leurs préoccupations intimes face à un monde déroutant auquel ils n’adhèrent pas.
Or au lieu de leur parler de leurs problèmes, les politiques s’échinent à leur parler de dette, de déficit, de croissance molle, de ratios sur PIB en berne… Pire encore, ils leur rappellent incessamment qu’il leur faut rattraper les autres pays qui, eux, sont déjà dans la course à la modernisation… Tout ceci se faisant sur fond de déculturation et de désagrégation institutionnelle et humaine dont le mouvement lent mais sûr, accentue la douleur des Français !
On comprend que la démarche empathique du bon médecin traditionnel embarrasse les politiques. Il y a là comme une difficulté d’ordre culturel qui fait qu’ils ne comprennent pas ce qu’il faut faire (ce qui n’est d’ailleurs pas le seul fait des politiques…). En paraphrasant La Fontaine dans « Les deux amis », on pourrait dire : le politique ne sait pas chercher les besoins des Français au fond de leur cœur et leur épargner la pudeur de les lui découvrir eux-mêmes…
Faute donc de diagnostic, peu de mobilisation. Or rien de grand ne peut se faire sans ce diagnostic partagé, condition d’un vrai débat sur les choix à faire.
C’est pourtant comme cela que les Français se mobiliseront et se rassembleront et non à l’instigation de ces appels rêveurs au rassemblement ou à je ne sais quel recomposition politique ! En juin 1940, quand de Gaulle appelle les Français à se mobiliser, il a pris le soin d’analyser la situation avant de s’appuyer sur un diagnostic approfondi avec une vision de l’avenir crédible pour s’en sortir. De même, imaginez sa tête face à un journaliste lui demandant combien de déficit ou de dette il prévoyait à la libération… sans doute un tel freluquet aurait-il été renvoyé à ses chères études !
Nous avons en France tout ce qu’il faut pour relever ce défi d’un vrai diagnostic. Si nous ne le relevons pas, en mai prochain, nous aurons un président mais rien de sérieux ne se produira.
C’est la raison pour laquelle, que vous soyez de droite ou de gauche, tourné vers le passé ou vers l’avenir, ayant la foi ou ne l’ayant pas, que vous soyez adepte du progrès ou du conservatisme, que vous soyez en haut ou en bas, conscient et instruit des menaces de ce monde ou pas, farouchement engagé individuellement dans la vie ou que vous soyez plutôt dans un entre-deux hésitant…, je vous conjure de ne souscrire à aucun programme à ce stade. Mais plutôt de faire d’abord ce diagnostic par vous-même. Sachons prendre du recul pour nous poser des questions simples et tenter d’y répondre : dans quel monde voulons-nous vivre ? Quelle place voulons-nous donner à notre part d’humanité dans ce monde futur… ?
Sortons enfin de ce fanatisme délirant de l’immédiateté médiatique qui freine toute tentative de comprendre de quoi sont vraiment faites nos réalités. Réfléchir par soi-même n’est-il pas le meilleur moyen ? Enfin, un dernier message aux politiques : a-t-on jamais trouvé mieux pour fabriquer du succès sur un sujet que de parvenir à mobiliser ceux qui sont concernés au plus près ?
Il reste à peine 3 semaines…
Yves Maire du Poset, consultant et citoyen parmi d'autres...