Ardemment recherchée par l’entreprise pour s’adapter aux temps modernes, espérée par les salariés qui sentent que le mouvement, plus que l’immobilité, est ce qui sauve, la mobilité interne marche pourtant mollement. Or des solutions existent pour la développer !
Les paradoxes dans l’entreprise sont légion et la mobilité interne en est un bel exemple : tout le monde la veut mais personne ne l’obtient. Elle comporte ces contraintes antagonistes que l’on fuit naturellement par crainte de la complication mais qu’avec un peu de courage, d’esprit d’innovation et de conciliation, on peut résoudre.
Car que voit-on la plupart du temps ? En haut de l’entreprise, une volonté affichée de développer cette mobilité interne, des systèmes sophistiqués souvent promus cahin-caha ainsi qu’une incitation scrupuleuse des pouvoirs publics comme l’entretien professionnel visant à faire réfléchir chaque salarié sur son devenir (Loi de 2015). Or malgré tout cela, on sent bien que, telle qu’elle fonctionne, la mobilité interne ne contente personne, ni les dirigeants, ni les managers, ni la DRH, ni les intéressés eux-mêmes. Des freins existent et, reconnaissons-le, il manque un ingrédient pour que la mayonnaise prenne…
Pour ma part, je commencerais par dire ceci : si elle ne marche pas, c’est que l’entreprise n’a pas suffisamment travaillé le facteur relationnel et les outils qui vont avec. Les acteurs concernés ne sont pas incités à se prendre en main. Je veux parler des salariés eux-mêmes pour qui bouger est toujours synonyme d’appréhension, d’incertitudes ajoutées à l’accélération d’un monde technique qui va si vite. Quant aux managers qui devraient être le premier maillon actif de ce processus de mobilité interne en incitant les collaborateurs à réfléchir à leur offre et à se projeter dans l’avenir, ils bloquent la machine, faute de formation et d’entraînement. Il ne faut pas leur en vouloir ni les en rendre coupables, il faut juste leur faire découvrir ces outils qui, une fois qu’ils se les seront appropriés, auront à cœur de les utiliser.
Car des outils qui facilitent la mobilité existent ! Prenons l’exemple de la courbe de sa carrière : voici une manière très aisée, voire ludique, d’entamer un dialogue avec son collaborateur au sujet de son évolution professionnelle à long terme. En quelques mots, il s’agit, sur un plan réalisé au crayon sur une feuille 21/29,7, de faire dessiner par le salarié lui-même une courbe illustrant les temps de sa carrière avec les pics de bonheur professionnel et les creux d’enquiquinement majeur ! Exemple :
A partir du dessin de cette courbe fait « au crayon levé », et pour peu qu’on l’affine par le dialogue puis par le travail que le salarié fera lui-même ensuite, on constate vite qu’elle est un moyen incomparable d’éclairage du passé, du présent et de l’avenir du collaborateur. Elle permet d’y retrouver ses réalisations concrètes, ses compétences, ses motivations ; et tous les autres ingrédients, y compris ceux qui sont personnels, qui font le succès ou le défont. Elle permet de réactiver ses liens oubliés, voire négligés, les dettes que l’on a envers certains et les créances…, et aussi tant d’autres éléments de son histoire. Bref, en lui faisant redécouvrir son offre, elle renforce le collaborateur et lui redonne confiance. Mieux, elle engage et implique chacun dans son rôle : le collaborateur devient acteur de sa carrière, le manager se transforme en accoucheur.
Pour le collaborateur, c’est un vrai travail de mémoire sans lequel aucun avenir ne peut être raisonnablement envisagé. Or ce dont les personnes souffrent le plus quand il s’agit d’évoluer et de se prendre en main, c’est d’une faiblesse de mémoire qui, « est notre plus grand manque » comme le disait Jean Guéhenno. Il ajoutait : « A cette perte continue de nous-mêmes, tient peut-être cette insuffisance qu’on sent en soi, cette impuissance à changer la vie. » Tout est là !
Mais l’exercice ne va pas de soi. Dans mon métier qui consiste à accompagner l’évolution de personnes à des moments difficiles, je le vois tous les jours : malgré leur expérience parfois incontestable, dès qu’il s’agit de réactiver leur passé, ces personnes sont nouées ! Pire, elles ne se souviennent que des mauvais moments de leur carrière. Leurs succès, leurs liens, leurs talents…, tout a tendance à passer à la trappe ! Or ce n’est qu’au terme d’un vrai dialogue, court ou long selon les cas, que le voile de l’oubli se défait et que l’horizon peut de nouveau s’éclaircir.
DRH, vous souhaitez relancer la mobilité interne ? Alors faites connaître aux managers cet instrument de dialogue, curieusement si peu connu. Puis apprenez-leur à s’en servir. La courbe de carrière est un formidable instrument pour les ressources humaines : il est simple, redonne à chacun ce « punch » nécessaire pour être acteur de sa mobilité. Comme l’huile dans les rouages, cet outil facilite le mouvement et il est un bon moyen de réactiver le relationnel dont vous avez tant besoin pour réussir l’adaptation de votre entreprise aux exigences actuelles. Vous verrez, bien vendu, les managers s’en empareront car ils y verront un nouvel outil de management très utile.
Yves Maire du Poset