Vous trouvez que les relations humaines dans votre entreprise pourraient fonctionner mieux ? Faites lire à vos cadres la querelle du Cid !
Dans l’entreprise, on est souvent sidéré par la place que prennent les bisbilles, les frictions, les mésententes entre les uns et les autres. Elles aveuglent non seulement les tenants de ces « guéguerres » mais aussi leur entourage. Elles finissent par évincer l’essentiel du débat au risque de passer à la trappe l’intérêt de l’entreprise, du client… En vérité, on ne souligne jamais combien la relation humaine bien maîtrisée est le meilleur moyen d’éviter l’échec professionnel. Je m’empresse de dire que l’entreprise n’est pas le seul lieu où ces inutiles combats de coqs (et de poules) ont lieu…
Comment faire pour développer la qualité de la relation dans l’entreprise ?
Vous connaissez Le Cid ? Je propose de rendre obligatoire l’apprentissage par cœur d’une scène du Cid, pleine de vertu pédagogique sur ce sujet. Il s’agit de la célèbre querelle entre DON DIÈGUE et DON GOMÈS. Le premier, DON DIÈGUE, reconnu pour sa sagesse et son expérience, vient d’être chargé par son roi de prendre en main l’éducation du jeune prince. DON GOMÈS, guerrier dont l’exemplarité n’est plus à prouver mais qui est plus jeune que son rival, prend ombrage de cette nomination. Il estime que c’est lui qui aurait dû être choisi et il en veut donc à DON DIÈGUE.
Dans la scène III du premier acte, on assiste à un échange verbal très animé, un véritable jeu de ping-pong qui finit par tourner au vinaigre. DON GOMÈS, en colère, perd tout contrôle et finit par souffleter DON DIÈGUE, lequel dans sa vieillesse, se verra obligé de demander l’impossible à son fils RODRIGUE : prendre l’épée pour venger l’affront subit par son père. Petit détail : RODRIGUE aime CHIMÈNE qui n’est autre que la fille de DON GOMÈS… Il y aura du sang mais je vous rassure, c’est une tragi-comédie qui finira bien. En attendant, quel bazar !
Décryptons la scène en quelques mots : en dépit de leur grande instruction et expérience, aucun d’eux ne fait preuve de l’empathie nécessaire dans toute relation humaine. Ils ne cherchent pas à se mettre à la place de l’autre ; d’abord en sortant de soi pour ensuite tenter d’entrer dans la pensée de l’autre.
Tourmenté par sa blessure, DON GOMÈS est incapable de s’associer à la réjouissance de DON DIÈGUE, quitte à avaler son chapeau. De son côté, DON DIÈGUE ne comprend pas qu’il a en face de lui un homme profondément blessé et qu’à ce stade, aucun raisonnement ne peut l’atteindre. Si bien que, cherchant à calmer le jeu pendant un long moment dans l’échange, il finit par se prendre lui-même au piège de la colère : à un moment, vous verrez, il se lâche et participe à la perte de contrôle de DON GOMÈS. Or, comme on le sait, la colère est mauvaise conseillère et emporte tout sur son passage.
Franchement, dans un monde de plus en plus technique, dont l’individualisme favorise les fragmentations, encourager et développer l’empathie avec tous ceux que nous côtoyons, n’est-ce pas là ce dont nous avons le plus grand besoin ? L’empathie constitue par ailleurs la meilleure protection contre les dérives relationnelles et la meilleure garantie pour que de bons et fructueux échanges s’instaurent avec les autres.
L’empathie dans l’entreprise. Y compris dans l’entreprise où elle est ce défi majeur que nous avons bien du mal à relever, tous les jours, à tout moment et avec tout le monde : chercher à comprendre les difficultés des autres, entrer dans leur monde est, reconnaissons-le, ce que nous faisons rarement ; soit parce que nous n’y pensons pas, soit plus simplement parce que nous ne savons pas comment faire.
Or cette aptitude rare ne tombe pas du ciel. Il s’agit d’une mécanique qui s’apprend et sur laquelle il faut s’entraîner. On sait parfaitement muscler l’attention qui a tant de mal à se fixer, on sait concentrer l’écoute des collaborateurs sur des sujets qui ne sont pas les leurs. Cela permet d’éviter qu’une algarade ne se transforme en guerre. Imaginez une seconde des ingénieurs innervés par les attentes cachées du client, des managers nourris par les attentes de leurs collaborateurs et chacun d’eux, enrichi par l’horizon de tous, se transformant brusquement en promoteurs de l’entreprise dedans et dehors… Bref, un vrai délice relationnel !
Il vaut mieux s’envisager que se dévisager disait Cocteau… Hé oui, il suffit parfois d’ouvrir un classique pour découvrir ce qui, décidément, nous échappe. La littérature est truffée de ces exemples vertueux qui peuvent nous aider dans le cadre professionnel ou personnel. Mais encore faut-il, comme avec Le Cid, prendre la peine de les lire, d’y réfléchir et d’en tirer de solides enseignements pratiques.
Pour finir, voici une illustration de ce que nous devrions tous savoir faire en certaines circonstances : voulant qualifier l’immense intérêt pour les autres qu’avait son grand ami Marcel Aymé, Antoine Blondin disait de lui : « Il était perdu dans vos pensées… ».
Et si on essayait un instant de s’oublier pour se rapprocher des autres ?
Yves Maire du Poset
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