6 août 2015 4 06 /08 /août /2015 14:35

A cause de leur paresse intellectuelle, les dirigeants des grandes entreprises ne sont plus à la hauteur de la situation. Face aux changements, la direction d’entreprise est devenue non seulement inefficace, mais le plus souvent, contre performante.

Depuis 30 ans, le management a été littéralement dépassé par l’évolution effrénée du monde économique dont le développement technique, l’obsession d’une rentabilité démesurée pour l’actionnaire, la mondialisation, la libération des marchés…. Bien entendu, l’entreprise a cherché à s’adapter, à faire évoluer ses pratiques mais avec de mauvaises solutions. Par la séduction facile que celles-ci ont exercée aux yeux de ses dirigeants, elle a ainsi fabriqué des aberrations dont elle souffre aujourd’hui. Exemples : la soumission au chiffrage de tout ce qui bouge, le « rien ne doit échapper à un process », l’invention perpétuelle de nouvelles formes d’organisation, les incessants appels à des valeurs « hors sol » pour stopper le désengagement des salariés (quand il ne s’agit pas de mettre fin à leur souffrance, voire à leur suicide) ; bref, elle a participé grandement à cet inquiétant recul du relationnel en son sein !

Dans La faillite de la pensée managériale*, François DUPUY décrit une entreprise à la dérive dont le management se retrouve régulièrement, tel Sisyphe poussant son rocher, à tenter une énième solution managériale miraculeuse pour surmonter les difficultés du moment. Or faute d’une culture générale suffisante qui, seule, donne cette capacité à bien commander, les dirigeants s’en sont remis paresseusement à l’offre des grands cabinets de conseil qui, non seulement ont prêté le flanc à ces dérives managériales mais les ont encouragées… Faut-il ajouter que, pauvre en connaissance des sciences sociales et faite de modèles standardisés, adoubés par les plus grandes « business schools », sans cesse « benchmarkés » (pour, soi-disant, atteindre la vérité de la réalité…), l’offre de ces cabinets a été, pour l’entreprise, le plus souvent inopérante, voire perverse.

Dans ce livre très instructif, on se distrait beaucoup avec les exemples de ces dérives. On rit parfois avec la sidération éclairante de celui qui découvre comment on peut perdre tout sens commun. Il arrive aussi qu’on pleure quand on s’aperçoit du coût des conséquences de ces dérives et, encore plus, quand on songe au coût de ce monde managérial désemparé…

Une piste pour ne pas jeter l’argent par la fenêtre…

Voici une illustration de la démonstration de l’auteur à partir d’une expérience que nous avons tous faite depuis quelque temps (certes dans un autre domaine mais pourtant si proche…) : avez-vous remarqué, dans les grandes surfaces ou à la SNCF, comme le personnel est désormais formé à dire « bonjour » dès qu’il est abordé par le client ? Par exemple, vous approchez un vendeur ou un agent de la circulation avec la plus grande des politesses : « pardonnez-moi, Monsieur, pourriez-vous me renseigner… ». Celui-ci vous coupe la parole d’un « bonjour » dit de manière abrupte et avec l’air de celui qui fait la leçon : tout de même, Monsieur le client, semble-t-il dire, vous auriez pu commencer par me dire « bonjour »… Comme s’il était impoli d’aborder quelqu’un par ce « pardonnez-moi… » interrogatif, ainsi que le fait pourtant tout le monde anglophone…

A la manière de François DUPUY, voici ma version sur ce qui s’est passé. L’entreprise est partie d’un constat juste et heureux : il faut bien accueillir le client. Elle a donc décidé de mettre en place des formations pour apprendre aux personnels en contact avec les clients, l’importance de ce mot magique. Avec un principe d’airain : tout commence par un « bonjour ». Quoi de plus vrai ? Mais hélas, on a omis de prendre le temps et le soin d’étudier ce qui se passe vraiment dans la réalité. Ce qui fait que la formation a produit un effet médiocre, voire désastreux.

Il existe en effet de nombreuses façons d’aborder quelqu’un et aussi de lui répondre. Car dans ce domaine des relations humaines, il faut être un peu subtil… Par exemple, face à un client qui dit « pardonnez-moi, monsieur, je souhaiterais un renseignement… », il convient plutôt lui répondre : « que puis-je faire pour vous… ? », avec toute l’attitude ouverte, reconnaissante et valorisante de circonstance ; celle qui n’a qu’un but : entrer dans la pensée du client afin de le satisfaire.

A en juger par ce « bonjour » sec et sans tact que l’on « sert » désormais au client, on perçoit que ces entreprises n’ont pas encore compris ce qu’un examen approfondi de la situation eut révélé : la réalité des relations humaines est complexe et traiter de façon mécanique et anonyme le client n’est pas la bonne solution. Celle-ci ne réside pas dans une formation standard dont le modèle, sorti du premier tiroir à portée de main, produira l’inverse de l’objectif recherché. La bonne solution doit être construite à partir d’un examen scrupuleux de la réalité pour, dans un deuxième temps, inventer une solution ad hoc. D’où l’intérêt dans la phase d’analyse d’une bonne maîtrise des sciences humaines…

Hélas, pour ces entreprises, pourtant dites « B to C », cette idée fait encore rire… Ce qui en dit long sur l’état de la culture relationnelle de leurs dirigeants et sur l’effort de formation à produire pour l’acquérir.

L'éloignement des réalités, maladie du siècle ? Sans doute, comme chacun le voit tous les jours et pas seulement dans l’entreprise… Voici pourquoi, je vous invite à lire ce livre pour, dès la rentrée, vous inciter à vous demander dans et hors de l’entreprise : que puis-je faire pour y résister ?

J’en profite pour souhaiter, à chacun, de bonnes vacances !

Yves Maire du Poset, auteur de : Toutes les clés du savoir-vivre en entreprise (co-écrit avec Olivier de Clermont-Tonnerre, Editions LEDUC, 2010)

*La faillite de la pensée managériale de François DUPUY, Seuil, janvier 2015

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