Vous êtes un chercheur d’emploi ? Surtout, n’écoutez pas ceux qui vous conseillent de commencer par faire votre CV ! Vous êtes un chercheur de profils ? Arrêtez d’exiger des CV avant tout contact ! Dans les deux cas, il y a mieux à faire !
Tout d’abord, il faut comprendre que le CV constitue un formidable paradoxe : il est un véritable enquiquinement (pour rester poli) pour le rédacteur comme pour le lecteur et un média incontournable exigé par tout le monde ! D’un côté un fardeau nécessaire et, de l’autre, quelque chose comme les Tables de la Loi ! Quel que soit le rôle qu’il se voit attribuer : passeport pour l’emploi, sésame pour rencontrer les autres, instrument de présentation de l’offre professionnelle d’une personne, outil de recherche de la perle rare pour les entreprises…, le CV occupe un espace et un temps considérables dans le domaine de la recherche d’emploi. Avec pourtant des effets qui sont loin d’être si efficaces que ceux attendus !
Ce que le CV veut dire et ce qu’il ne dit pas ! Il est supposé apporter avec clarté les informations nécessaires à la bonne compréhension du déroulement de la vie d’un candidat (ce que veut dire curriculum vitae). Or dans la plupart des cas, il produit l’effet inverse : on est dans le flou et la dispersion, voire dans la distraction. Son ambition même, c’est-à-dire vouloir tout dire de l’offre professionnelle d’une personne sur un bout de papier, est un pari impossible ! La meilleure preuve se trouve dans le peu d’enthousiasme que suscite sa lecture : avez-vous rencontré beaucoup de gens ayant lu avec gourmandise un CV, sinon pour s’en moquer ? Moi pas. L’idée même de vouloir ainsi conquérir le lecteur en mettant tout dans un même sac comme l’on fait d’un fatras, n’est pas raisonnable. Rendez-vous compte : l’état civil, les coordonnées, le passé, le présent, le futur, les fonctions, le temps, la trajectoire, les actions menées, les hobbies, les savoir-faire, la vie personnelle, parfois la photo… Tout doit y figurer alors que pour le lecteur, in fine, c’est le rien qui l’emporte… Dans le meilleur des cas, il n’échappera pas au vertige devant tant de données à décrypter puis à digérer d’un coup.
Tout se passe comme si, avant d’acheter quelque appareil ménager que ce soit, vous étiez obligé de vous « farcir » la lecture in extenso de son mode d’emploi, et dans toutes les langues s’il vous plaît ! Bref l’écœurement est proposé au client avant même de le mettre en appétit ! C’est avec peine que je pense aux recruteurs obligés d’en lire des dizaines… Du côté du rédacteur, c’est un vrai casse-tête. Entre ce qu’il veut dire et ce qu’il réussira à écrire, muni de tous les bons conseils des uns et des autres qu’il ne manquera pas de quémander, un peu bêtement d’ailleurs… et auxquels s’ajouteront ceux des nombreux livres consacrés à ce sujet, nul doute qu’il sera lui aussi, dès le démarrage, guetté par l’indigestion. Or ce CV si bavard ne dit pas l’essentiel. Il ne dit rien en effet de la puissance professionnelle de la personne et de ce qui rend son identité professionnelle unique. Pas plus que des ingrédients majeurs de son offre : sa motivation, sa créativité, sa personnalité… En fait rien n’est vraiment dit de son humanité professionnelle, comme si cela ne comptait pas ! A sa lecture, on reste dans la devinette…
Le jeter aux orties…? Faut-il pour autant ne plus faire de CV ? Non mais il ne faut pas en faire un prérequis dans la recherche d’emploi. C’est plutôt la dernière étape du nécessaire travail de réflexion sur soi. En fait, nous sommes dans une situation incroyable qui semble ne perturber personne et dont le caractère immobile laisse pantois* : d’un côté, le chercheur d’emploi dépense une énergie folle dans la réalisation de ce CV dont il pressent dès le démarrage qu’il n’est qu’une bouteille à la mer… Et, de l’autre côté, les chercheurs de profils exigent de recevoir ce média repoussant sur lequel il va leur falloir « ramer » pour trouver l’oiseau rare. Que d’énergie et de temps perdus pour un système qui ne contente personne. Mais surtout, que de talents passés dans les trous de la passoire !
D’où vient cette absurdité qui fait consensus et comment en sortir ? Est-elle due à la jeunesse de l’instrument, à celle du métier des RH, à la tendance actuelle à vouloir privilégier la forme sur le fond, à l’absurdité moderne de vouloir tout mettre en carte comme si cela permettait d’aller plus vite et plus directement au but ? Il paraît que les CV sont désormais lus (un bien grand mot pour la circonstance…) par des outils performants repérant les mots clés afin d’identifier le profil le plus adapté… Vivement l’arrivée des robots sur le marché de l’emploi, ça ira plus vite ! Je crois pour ma part, en prenant le risque de déranger les pratiques « académiques », qu’il y a derrière ce système peu contesté une sorte de paresse intellectuelle et un manque de réflexion et de concertation de tous les acteurs. Car bien sûr, il y a mieux à faire : par exemple, adopter les outils éprouvés de certains spécialistes du repositionnement professionnel. Chercheurs d’emploi comme chercheurs de profils en tireraient un grand avantage. Voici deux pistes d’amélioration concrètes :
- Le chercheur d’emploi : il faut l’entraîner à formaliser son offre avec des mots et des phrases. C’est-à-dire lui apprendre à dire tout simplement ce sur quoi il peut, avec force légitimité, se positionner. C’est un autre travail, plus difficile que celui de faire un CV fourre-tout mais qui donne de meilleurs résultats. Voyez par exemple comment les gens du conseil intègrent dans leurs propositions commerciales les mini-CV de ceux qui prendront part à la mission. Ils sont rédigés en quelques lignes avec les ingrédients qui savent faire le lien entre le client et la mission en question. Toutefois, un effort préalable est à fournir par le chercheur d’emploi : produire un vrai travail sur soi, avec méthode et entraînement. Ceci s’apprend.
- Le chercheur de profils : il faut l’aider à changer de comportement : en acceptant d’abord de se rendre de nouveau accessible (avez-vous remarqué qu’à l’heure de la « com à tout va », il n’est plus possible de joindre quelqu’un dans les entreprises ?) puis de recevoir directement des messages courts (comme décrits plus haut) venant des chercheurs d’emploi. Toutefois, un effort préalable est à fournir par le chercheur de profils : savoir faire comprendre ce qu’il attend au lieu de se contenter de demander un CV et muscler sa pratique de l’entretien professionnel afin d’être capable en quelques minutes d’identifier la puissance de l’offre d’un candidat, sans lecture préalable du CV. Ceci s’apprend.
Remettre de l’air dans le processus ! En permettant ainsi un retour du relationnel dans ce système, il s’agit bien de favoriser la rencontre entre tous les acteurs avec des moyens plus adaptés, utilisant davantage les ressources du marketing personnel. Ce qui appelle un changement culturel, y compris dans les Institutions publiques afin d’équiper les offreurs et les demandeurs d’emploi d’outils de promotion plus efficaces. La récente réforme de la formation professionnelle qui oblige désormais les entreprises à faire des entretiens professionnels tous les deux ans va d’ailleurs dans ce sens : professionnaliser l’évolution des carrières. On parle beaucoup du besoin de fluidifier le marché de l’emploi mais franchement, n’est-il pas temps d’essayer de nouvelles pistes ?
Yves Maire du Poset
* le numérique n’a pas changé les choses, il n’a fait que les accentuer !