Le dernier livre de Sébastien Lapaque, un coup de cœur que je souhaite partager avec vous.
Voici un récit admirable dont le prétexte est une rencontre entre Stefan Zweig et Georges Bernanos au Brésil, lieu de leur exil en 1942.
D’un côté, Stefan Zweig, écrivain autrichien très marqué par la culture éclectique qui régnait à Vienne avant 14/18. Avec les années, il devient l’un des écrivains les plus lus au monde, avec des œuvres de toutes natures et des amitiés forgées avec les plus grands de la littérature. Mais devant la montée du nazisme, il est contraint de quitter son pays et de fuir jusqu’au Brésil. C’est dans cette fuite qu’il découvre peu à peu, pourrait-on dire, sa judéité. Car la nuit allemande s’étend partout. Elle le poursuit, l’oppresse, y compris dans ce Brésil qui l’a pourtant bien accueilli et qu’il a tant aimé. Désespéré, il finira par se suicider avec son épouse. Du moins est-ce l’hypothèse la plus probable car une autre version est avancée : son assassinat par les nazis qui pullulaient au Brésil.
De l’autre, Georges Bernanos, écrivain français, reconnu comme cet immense écrivain de l’intérieur comme le dit Lapaque ; catholique fervent mais révolté par la paresse intellectuelle de la modernité technique, de l’Eglise comme des politiques. Il fut un antisémite notoire mais, face à la guerre d’Espagne, non seulement il retournera sa veste mais il la jettera aux orties. Il vomit Pétain et le Vichysme sous toutes ses formes. Réfugié au Brésil, il est entouré des siens. Et même s’il est dans la dernière partie de sa vie (il marche désormais avec des cannes), il reste solide : il a combattu en 14/18, il a vu de près la guerre d’Espagne et la terreur de Franco, il connaît la souffrance des Hommes comme pas deux. En 1942, sa colère contre l’imbécillité (son mot le plus cher) le maintient debout. Lui sait, avec raison, que la victoire des alliés va advenir.
Zweig et Bernanos se sont rencontrés, c’est sûr. Mais nul ne sait ce qu’ils se sont dit. Grand connaisseur depuis longtemps de l’un comme de l’autre, Sébastien Lapaque n’a pas pu résister à la tentation d’imaginer le dialogue entre ces deux géants dont les parcours, l’histoire et les œuvres n’impliquent pas une évidente harmonie entre eux.
Cependant, l’auteur en est certain, cette rencontre n’a pu être qu’un moment heureux de compréhension. Ils sont nourris des mêmes grandes œuvres et ils n’ont fait que travailler à percer à jour l’humanité de nos vies.
Mais Sébastien Lapaque ne fait pas qu’imaginer cette rencontre. Il raconte cette enquête qu’il a menée sur cette affaire pendant 20 ans. Il raconte leurs parcours personnels jusqu’au temps de leur exil ; il raconte les personnages illustres et ceux de l’ombre qui furent les témoins de leurs vies dans ce pays unique. En dévoilant tout son travail de lecture et d’analyse, il nous donne les clés de cette réconciliation universelle que ces deux écrivains appelaient de leurs vœux.
Et puis, et puis… il y a l’auteur, Sébastien Lapaque. Son regard unique sur ce pays qu’il aime depuis longtemps, et dont il connaît bien la langue. On aime sa culture si large et son goût d’intégrer les contraires, sa conviction que seule la culture permet de dépasser les oppositions. On aime sa passion, son humanisme sans frontières qui font de lui un écrivain inclassable. Vous verrez, avec ce merveilleux voyage culturel, vous n’échapperez pas à cette invitation à se (re)plonger dans les œuvres de Stefan Zweig et de Georges Bernanos ! Qui sait, peut-être serez-vous même tenté de prendre un billet pour le Brésil, histoire de retrouver quelques-unes des traces de cette enquête… ?
Yves Maire du Poset
* Echec et mat au paradis de Sébastien Lapaque (ACTES SUD)
Que va-t-il faire ? Quel est pour lui le champ des possibles ? Est-il dans une situation de force ou de faiblesse ? Va-t-il se contenter de prolonger ce bricolage politicien suiviste, sans idées et qui ne résout jamais rien ou bien va-t-il tordre le cours des choses en ouvrant une autres voie, celle de la justice* ? Quitte à surprendre ou à déranger… ? S’il me demandait mon avis, voici ce que je lui dirais.
Les 4 constats sur lesquels votre réflexion doit porter avant d’écrire votre discours de politique générale :
Premier constat : le monde économique néo-libéral va trop loin. Son manque d’anticipation, ses excès et ses échecs sont patents :
des inégalités et des vulnérabilités ascendantes, avec un lourd ressentiment pour ceux restés à l’écart du développement économique,
un environnement technique qui dégrade partout les relations humaines et relègue l’humain au second plan,
une responsabilité immense des autorités dans la dégradation écologique et le désordre migratoire,
une vie démocratique qui se réduit : moins de participation et d’engagement des Français et un sentiment de perte de souveraineté qu’induisent l’UE et les autres institutions supranationales.
Deuxième constat : la machine politique institutionnelle est à bout de souffle. Sans idées et sans plus de liens avec les Français, elle produit chez eux un sentiment d’éloignement, de rejet, voire de dégoût.
Troisième constat : le climat politique démocratique est tendu comme jamais : les 3 blocs sont figés sur leur position, avec des relations entre eux a minima (y compris au sein de chacun de ces blocs).
Quatrième constat : les circonstances sont plus favorables que jamais pour oser une politique audacieuse qui doit surprendre le monde politique et le désarçonner. Et pour l’engager, vous avez du temps devant vous pour les raisons suivantes :
le Président ne pourra pas vous empêcher de tenter une telle audace politique : vous avez 11 mois devant vous a minima (car pour le Président, il n’y a pas de plan B : un autre 1er ministre dans un mois n’est guère possible)
aucun groupe n’osera vous empêcher de proposer une avancée politique qui, en partie, irait clairement dans son sens,
il y a deux attentes majeures des Français sur lesquelles une grande partie d’entre eux peuvent se réunir : l’une de justice sociale, légitime ; et l’autre d’une politique de l’immigration à reconstruire, elle aussi légitime.
Aussi, de votre discours de politique générale, 4 idées concrètes doivent pouvoir être retenues par les Français, parce qu’elles correspondent franchement à leurs attentes :
une revalorisation du pouvoir d’achat des bas salaires (le trop d’inflation sur l’alimentaire en particulier des dernières années, doit être compensé) ; revalorisation qui doit être financée en partie par un impôt exceptionnel sur les patrimoines les plus hauts, suivi de la restauration de l’ISF sur les valeurs mobilières,
un réaménagement de la réforme de la retraite pour les emplois pénibles et les bas salaires en particulier, avec le choix clair d’avantager ceux dont les métiers sont physiques et d’allonger le temps de travail de ceux dont les métiers ne le sont pas (oui, pourquoi pas pour ceux qui le veulent jusqu’à 73 ans ou plus… ?),
un arrêt de l’immigration tous azimuts ; mais compensé par la régularisation de ceux qui sont là depuis longtemps, qui ont leur vie en France, un travail… Un arrêt qui sera suivi par une politique d’intégration plus exigeante et plus humaine (apprentissage de la langue par exemple, sans concentration vicieuse de l’habitat…),
une vraie politique pour réengager le peuple dans la machine démocratique : dans la famille, dans l’école, dans la cité, dans le travail et dans l’écologie (en s’inspirant par exemple de l’idée des conventions citoyennes mais systématisées à l’échelon local).
En procédant ainsi, vous coupez l’herbe sous le pied des politiques et vous les obligez au dialogue.
Votre nomination doit marquer une rupture (c’est votre mot) : elle doit répondre aux attentes principales des Français ! Vous n’avez donc pas d’autre choix que celui de l’inscrire dans le droit fil de la ligne gaulliste qui savait concilier libéralisme et politique publique, l’économique et l’humain. Mais vous savez de quoi je parle… !
C’est pourquoi, pour réussir, compte tenu des circonstances du moment, vous devez viser, dans votre discours de politique générale, l’assentiment des Français à ces 4 premières idées. Non pour devenir ce populiste dont l’intention est toujours d’écarter les partis et autres institutions publiques mais pour, momentanément, prendre de la distance avec les extravagances d’un système politique qui ne fonctionne plus.
Revitaliser le gouvernement de la puissance publique en le remettant au premier plan, et obtenir un engagement fort des Français, voici de quoi réinscrire le gaullisme dans la République.
*« Une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale »
Vendredi soir, je n’ai pas vraiment vu la cérémonie d’ouverture des JO, plongé que j’étais dans la lecture du livre « Le monde d’hier » de Stefan Zweig.
Cependant, de temps en temps, je posais mon livre et changeais de pièce pour jeter un œil sur un ordinateur branché sur cette cérémonie. J’ai donc entre-aperçu quelques scènes de cette fête.
Que dire sinon ma stupéfaction devant cette mise en scène à la fois grandiose et réussie dans son intention de dérouler la gloire de la France en suivant le cours de la Seine mais parfois, dans certaines séquences, si décevante. Peut-être la charge symbolique était-elle si lourde ou les spectacles étaient-ils si étrangers à ce à quoi je m’attendais que je n’ai pas su en discerner les messages ? Et puis, je me suis dit que l’attention que je prêtais à ma lecture avait dévitalisé celle, furtive, que je portais à cette cérémonie. Mais la vérité est que ce que je lisais lui faisait écho.
Ce moment de lecture raconte le retour de l’auteur en Autriche après plusieurs années de guerre passées en Suisse. Son pays est une immense désolation : vaincu, dépecé, affamé ; sa monnaie disparaît au profit du troc ; tout se délite, le pays est à l’os.
Là se fait le lien avec cette cérémonie des JO : derrière ces tragiques événements, il y a une jeunesse impatiente de reprendre le cours des choses qui, dans la guerre, a si mal tourné. Elle veut se venger du monde des parents. Et l’un des lieux privilégiés de la vengeance, c’est l’art. Rembrandt, Holbein et Vélasquez sont mis à l’index au profit de formes plus libres mais dont la grammaire finit par échapper au commun des mortels ; dans l’art pictural comme dans celui des lettres ou de la musique, c’est la liberté du créateur qui compte et non plus la liberté de celui à qui l’œuvre est destinée. Dès lors, tout le monde se met à suivre ce penchant libertaire. Zweig écrit en s’en moquant, que « De vieux barbons d’académie compassés recouvraient leurs anciennes « natures mortes », devenues invendables, d’hexaèdres et de cubes symboliques parce que les jeunes conservateurs des musées éliminaient des salles tous les autres tableaux trop classiques et les mettaient en dépôt. » Bref, ajoute-t-il : « un monde extravagant et incontrôlable connaissait un âge d’or. » Ou encore : « on proscrivait sans appel toute forme de normalité et de mesure. »
Or il me semble que c’est à une même dérive à laquelle j’ai assisté hier soir (heureusement pas toujours) : des productions « artistiques » qui se lâchent, molles et sans beauté. Par exemple la Cène « re-genrée », un danseur étoile en jupette, le défilé d’une femme à barbe ou d’un homme âgé en robe fuseau, une chanteuse interprétant une chanson d’Aznavour dont je n’ai pas compris un traître mot ni même reconnu l’air (alors que je la connais par cœur depuis plus de 60 ans…), un Dionysos bleuté et sans voix…
Franchement, je me demande si nous ne sommes pas dans une sorte de désordre culturel comme celui que décrit Zweig au lendemain de la guerre de 14/18. Comment a-t-on pu s’écarter à ce point - ne serait-ce que pour rester conforme à l’esprit des JO et du sport - d’une ligne consistant à promouvoir la richesse culturelle de la France dans ce qu’elle a d’universel et d’exemplaire ? Pourquoi, dans ces quelques séquences, avoir préféré jouer la carte de l’ « ado » fâché avec le passé, toujours désireux de choquer et si avide de paillettes ?
Et puis… - je sais, c’est un autre sujet - n’est-il pas urgent d’arrêter de céder sans retenue à un monde aveuglé par l’argent ? La sobriété n’est-elle pas le premier des moyens de faire naître un art authentique ?
Mon nom est Yves Maire du Poset. Je suis un citoyen français, de la même génération que vous.
En vous écrivant, j’espère de votre part un acte de Justice à la hauteur de vos pouvoirs.
Je veux parler de l’extradition de Julian Assange en direction des Etats Unis qui sera peut-être décidée dans moins d’une semaine. Une extradition que vous pouvez empêcher.
Car il y a dans cette affaire nombre de points qui heurtent le sens commun. Permettez-moi d’en rappeler quelques-uns :
Julian Assange n’a fait que son métier. Le journalisme exige de mettre à la lumière les actes rendus invisibles par des Etats ou tout autre organisation, détériorant ainsi le fonctionnement démocratique d’un pays. Aussi, comment pourrait-on accepter que celui qui transmet des informations concernant les crimes de guerre commis par l’armée des Etats-Unis sur ordre de son gouvernement, dût se défendre auprès du coupable et, qui plus est, sur son territoire ?
Julian Assange risque, dit-on, une peine de 175 ans de prison. Avec cette sombre mais tout de même risible perspective, tant elle est hors de toute proportion humaine, comment pourrait-on accepter qu’il fût remis en des mains animées par si peu de raison ?
Julian Assange est l’un de vos sujets à double titre puisque vous êtes Roi du Royaume-Uni mais également Roi d’Australie dont il est un citoyen. Dès lors, comment se pourrait-il qu’à la seule demande des Etats-Unis, le Royaume-Uni acceptât d’extrader l’un des siens, alors qu’il s’agit à l’évidence d’une volonté de se venger à l’aide d’une parodie de Justice ?
Julian Assange est poursuivi depuis 14 ans pour d’autres motifs dont on voit clairement qu’ils sont le prolongement d’une action dirigée par les Etats-Unis avec un seul but : répandre la peur auprès de ceux qui, heurtés par de mauvaises pratiques, désirent plus de Justice. En ne disant pas non à leur demande, quel exemple aurons-nous donné ? Quel coup aurons-nous porté au sens de l’honneur de ceux qui conservent l’envie de faire leur devoir d’alerte face aux dangers que courent nos Démocraties ?
Nous autres, européens, aimons les Etats-Unis et nous savons les liens et les dettes qui nous unissent. Mais il nous faut rester vigilants face à leur autoritarisme. Depuis plus de 20 ans, le monde entier connaît leurs mensonges éhontés au moment de la guerre en Irak et leur volonté d’imposer au monde leur Droit. Pour autant, qui en Europe a demandé leur condamnation à 175 ans de prison… ? Que sont-ils devenus pour s’acharner ainsi sur un homme qui n’a fait que son travail ?
En refusant de cautionner cette exigence du gouvernement des Etats-Unis qui ressemble à un caprice d’enfant en colère, vous marquerez l’Histoire.
Vous ferez honneur à l’esprit de la Démocratie auquel vous avez toujours été attaché ainsi qu’à l’esprit rebelle que vous avez souvent manifesté et qui est, sans conteste, l’un de vos charmes.
Avec mes sentiments très respectueux,
Yves Maire du Poset
Version anglaise :
Your Majesty,
My name is Yves Maire du Poset. I am a French citizen, of your generation.
By writing to you, I express my hope to see from you an act of Justice equal to your powers.
I am referring to Julian Assange's extradition to the United States of America, which may be decided in less than a week – an extradition which you can prevent.
For there are a number of issues in this matter which go against common sense. Allow me to list a few:
Julian Assange was only doing his job. Journalism demands to highlight acts which states or any other organisation have made invisible and which thus deteriorate the democratic functioning of a country. Moreover, how could one accept that he who transmits information regarding war crimes committed by the United States' army upon order of its government, should have to argue his defence to the culprit and, what is more, on the latter's territory?
Julian Assange is said to be risking a sentence of 175 years' imprisonment. With this sombre yet ridiculous perspective, so removed from any human proportion, how could one accept that he be handed over to authorities that show such lack of reason?
Julian Assange is your subject in two respects, as you are King of the United Kingdom and King of Australia, of which he is a citizen. Consequently, how could it be that, upon simple request from the United States, the United Kingdom would accept to extradite one of their own, to assuage what is clearly a desire for revenge, via a parody of Justice?
Julian Assange has been prosecuted for the past 14 years on other grounds, which are clearly the extension of actions led by the United States with one aim only: to spread fear among those who, upset by poor practices, wish for more Justice. By not standing against their request, what example will we give? What blow will we give to the sense of honour of all those who still wish to fulfil their duty to raise the alarm about the dangers that our Democracies are facing?
We Europeans appreciate the United States and we are well aware of the ties and debts which unite us. But we must stay watchful of their authoritarianism. For more than 20 years, the entire world has known about their shameless lies at the time of the war in Iraq, and of their will to impose their Lawworldwide. For all that, who in Europe has requested they be sentenced to 175 years' imprisonment?What have they become, to hound a man who was only doing his job?
By refusing to endorse this demand from the government of the United States, which is not unlike a child's tantrum, you shall mark History.
You shall do honour to the spirit of Democracy you have always been attached to and to the rebel spirit you have so often shown and which is, without question, one of your charms.
Gardez vos vieux journaux et relisez-les de temps en temps, vous verrez, ça rafraîchit la mémoire !
En voulant allumer mon feu avec de vieux journaux, je tombe sur cette Tribune d’avril 2004 : « Défendons notre service public hospitalier ». Signée, il y a 20 ans, par 286 médecins de l’époque, hospitaliers, professeurs de médecine, chefs de service, de toutes disciplines, voici en quelques mots l’essentiel de cette Tribune (le texte intégral se trouve à la fin de mon papier) :
La santé publique se dégrade, écrivaient-ils… A l’hôpital, moins de moyens pour bien faire son travail, moins de médecins, moins d’infirmières, moins de lits, moins de médicaments… Pire, une nouvelle injonction est faite à leur métier : introduire le calcul comme seul paramètre efficace pour construire une médecine performante.
Au secours, disaient ces médecins, nous n’en voulons pas de ce paramètre, nous voulons simplement faire ce beau métier que nous avons choisi et dont l’unique objectif est de soigner celui qui souffre ! Non, franchement, nous ne voulons pas de ce système managérial sec et sans humanité qui, dans 20 ans, fera de nous des médecins aux yeux fixés sur les chiffres de nos écrans. Nous avons autre chose à faire que de : « soigner les indicateurs (d’efficacité de nos pratiques) plutôt que les patients… »*
Ces insurgés ne voulaient pas de cette transformation de leur métier qui allait faire d’eux des juges du coût de la vie : par exemple, choisir de soigner celle-ci plutôt que celui-là… ? Et puis quoi encore… ? Ils ne voulaient pas d’un monde de la médecine où point sans vergogne le nez de cette infatigable machine économique dont l’obsession première est de pénétrer partout où fume l’odeur de l’argent !
Hélas, 20 ans après, l’alerte de ces médecins semble bien n’avoir pas été entendue... !
*j’emprunte cette expression au professeur André Grimaldi.
Le texte intégral de cette Tribune « Défendons notre service public hospitalier » parue dans Le Monde du 20 avril 2004 :
"Nous sommes médecins hospitaliers, professeurs de médecine, chefs de service. Par-delà nos opinions diverses, nous avons décidé de nous adresser à vous. Ce qui est en jeu se situe au-delà des opinions des uns et des autres : il s'agit de votre santé. Nous sommes conscients du caractère inhabituel de notre démarche, mais la situation est si grave que nous considérons de notre devoir de médecins de vous informer.
Notre métier est de soigner, et ce métier nous l'exerçons dans des conditions de plus en plus difficiles. Nos hôpitaux, qui pratiquaient une médecine de très haut niveau, sont en train d'être disloqués. Notre système de soins, hier encore considéré comme un des meilleurs du monde, est en train d'être détruit.
Les gouvernements qui se sont succédé, de gauche ou de droite, les responsables politiques, quelles que soient leurs obédiences, vous ont tous affirmé qu'ils voulaient, pour votre santé, une efficacité accrue de notre système hospitalier et une amélioration de sa performance.
Vous avez pu le constater par vous-mêmes :
- Pour une demande de rendez-vous en consultation à l'hôpital, les délais s'allongent : parfois des mois.
- Lorsque votre chirurgien programme une opération, votre attente est de plus en plus grande.
- Dans les services d'urgences, les malades attendent des heures, parfois des jours, sur des brancards, car on ne trouve pas de place pour les hospitaliser.
- Les épidémies de grippe et de bronchiolite, pourtant parfaitement prévisibles, prennent des allures de catastrophes. Des enfants, des nourrissons, sont hospitalisés à des centaines de kilomètres de leur domicile, faute de place.
- Il n'y a plus assez de médecins, d'internes, d'infirmières : débordés, épuisés, ils ne parviennent plus à consacrer à chacun de vous le temps nécessaire.
Une situation indigne d'un pays civilisé !
Il faut que vous sachiez qu'ont été fermés plus de 150 000 lits hospitaliers en vingt ans, 100 maternités ces six dernières années (le sixième des maternités de notre pays), des services et des hôpitaux entiers.
Vous devez savoir que le nombre de médecins en exercice diminue depuis 2002. Pourquoi ? Parce que les gouvernements successifs ont imposé une limitation insupportable du nombre d'étudiants en médecine.
Le gouvernement actuel s'enorgueillit d'avoir augmenté ce nombre : en réalité, cette augmentation est tellement insuffisante que le nombre de médecins diminuera de 15 000 en 2008. Il n'y a plus assez d'anesthésistes, d'obstétriciens, de chirurgiens. Toutes les spécialités sont touchées. L'insuffisance des postes d'internes ne permet ni le fonctionnement des hôpitaux ni la formation de ces jeunes confrères, et va entraîner une diminution encore plus grande du nombre de spécialistes.
Il n'y a pas, comme il est dit, de "crise de vocations". Le problème est que, pour 25 600 candidats aux études de médecine, la capacité d'accueil n'est que de 5 600 !
Les gouvernements ont fermé les écoles d'infirmières. Pour 106 791 candidats à la profession d'infirmière, la capacité d'accueil est de 26 346 seulement. 56 000 infirmières diplômées ont abandonné leur profession, car les conditions de travail sont devenues trop pénibles et incompatibles avec leur vie familiale.
On nous demande d'économiser sur tout. Nous devons discuter pied à pied pour obtenir chaque médicament nouveau. Nous attendons des mois, parfois des années, les équipements modernes et les nouvelles techniques que la science met pourtant à la disposition de la médecine.
A maintes reprises, nous nous sommes adressés aux ministres des divers gouvernements. Nous les avons avertis... toujours en vain. Au printemps 2002, nous avons alerté le gouvernement de gauche, puis, au printemps 2003, le gouvernement actuel. Nous leur avons exprimé notre angoisse, l'été arrivant avec ses fermetures de lits inévitables par manque de personnel et de médecins. Nous leur avons dit : "Tout peut se produire !"
Il y a eu les 15 000 morts de l'été dernier. Certes, la canicule était imprévisible, mais l'incapacité des établissements de soins était, elle, parfaitement prévue. Nos hôpitaux mis en première ligne, comme toujours dans ces circonstances extrêmes, n'ont pu faire face que grâce à un dévouement exceptionnel de tous les personnels.
Tous les gouvernants nous disent que les dépenses de santé sont devenues insupportables, qu'il faut économiser. Nous ne dilapidons pas les fonds de la Sécurité sociale : nous soignons les malades. N'est-il pas normal que les dépenses de santé augmentent dans une société civilisée ? Les progrès scientifiques et médicaux permettent de traiter des malades hier incurables. L'espérance de vie augmente de trois mois par an.
Nous nous en réjouissons. L'ancien ministre, M. Mattei, lui, le déplorait : "Le vieillissement de la population nous pose des problèmes majeurs, il occasionne un surcoût considérable."
Mme Dufoix, ministre socialiste de la santé, l'avait déploré avant lui : "50 % des dépenses médicales sont relatives aux deux derniers mois de la vie. Est-ce juste ? Probablement oui aux yeux du médecin ou de l'homme. La réponse est moins sûre pour la société."
Au principe intangible du respect de la vie et de l'être humain, au devoir de protection des plus vulnérables, les gouvernements substituent la doctrine du coût de la vie humaine.
Savez-vous ce qu'on demande aujourd'hui aux médecins ?
On nous demande d'élaborer des "projets médicaux" pour réorganiser les hôpitaux au motif d'en "améliorer le fonctionnement". Le préalable est constant : "diminuer les coûts". Les réorganisations aboutissent toujours à la diminution du nombre de lits et à la réduction du personnel et des moyens. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que soient présentées comme des "décisions médicales" des décisions politiques et économiques qui réduisent l'accès aux soins de la population.
Vous devez savoir que nous sommes de plus en plus souvent placés dans la situation de ne plus pouvoir apporter à nos semblables les soins efficaces dont ils ont besoin. Qu'il nous est demandé de trier parmi les patients ceux qui seront soignés selon les règles de l'art et ceux qui ne le seront pas.
Vous savez certainement que le gouvernement a décidé de réformer l'assurance-maladie. Il a nommé un Haut Conseil qui a fait des propositions en vue de cette "réforme". Voici l'une de ces propositions : "mesurer si l'utilité médicale d'un acte ou d'un produit justifie les dépenses supplémentaires qu'il entraîne".
Cela s'appelle le "rapport coût-efficacité". Autrement dit : serait évalué le coût de chaque progrès, celui de chaque mois de vie gagné... On calculerait ainsi si tel ou tel soin est rentable pour la collectivité.
En fonction de ces calculs, certains soins seraient remboursés, donc réalisables, mais d'autres soins ne le seraient pas. Dès lors, ne pourraient en bénéficier que les malades assez fortunés pour se les payer.
Nous sommes médecins. Nous le disons nettement : une telle logique est opposée à la nôtre.
Les médecins doivent à chacun de leurs malades "des soins consciencieux, dévoués et conformes aux données acquises de la science" (article 32 de notre code de déontologie).
Nous nous élevons contre la logique des "choix". Nos hôpitaux publics ont jusqu'à présent garanti tous les soins du plus haut niveau à tous les malades, à égalité, quelles que soient leurs ressources. Ils sont souvent le seul recours pour les plus démunis. C'est là notre fierté. Mais les dernières décisions gouvernementales vont à l'encontre de cette égalité d'accès aux soins en majorant le forfait journalier à 13 euros et en ne remboursant plus à 100 % les soins postopératoires réalisés en dehors de l'hôpital.
Durant les années de nos études, puis celles où nous avons exercé notre métier à l'hôpital, nous avons vu les choses s'améliorer peu à peu, les progrès s'accumuler. Nous ne pouvons nous résoudre à assister à la remise en cause de tous ces efforts, à la destruction d'un système de soins aussi performant.
Or, avec des moyens de plus en plus réduits, avec les restructurations qui se multiplient, les hôpitaux ferment de plus en plus nombreux. On les regroupe avec les cliniques ; des services sont supprimés au profit du privé.
Dans bien des pays, tout cela est déjà très avancé. Hier encore nous pouvions nous enorgueillir d'avoir un des meilleurs systèmes hospitaliers publics du monde. Ensemble, défendons-le."
Cet appel, rédigé à l'initiative du bureau du comité national de défense de l'hôpital (CNDH), a été signé par 286 médecins hospitaliers de toutes disciplines et spécialités, dans toute la France
Retrouvons "cette part de nous-mêmes qui met de la mesure" propose l'auteur de cette tribune. En écho à Balzac, face au tout technique délirant, il souhaite ramener les Rastignac à "hauteur d'homme".
Yves Maire du Poset, retraité, est l'auteur d'un blog dans lequel il s'intéresse à ce que les grands auteurs peuvent nous apporter.
La conversation face au couple infernal des tics de langage et du recul de la simplicité !
Parmi les tics de langage à la mode, il y en a un qui me fait rire. Dans un premier temps seulement…
Dans une discussion, quelqu’un donne son point de vue ou son sentiment. Il est soudain coupé par un autre qui, avec gravité, lui assène : « c’est plus compliqué que ça… ! »
Le premier pensait de bonne foi éclairer, compléter, enrichir la discussion, voire qui sait, élever le genre humain en le faisant échapper au café du commerce… Or là, patatras, en cinq sec, le second le rabaisse au rang des indigents de la pensée !
Heureusement, ce maître de la complexité va lui expliquer ce qu’il n’a pas bien compris. Bon, là, pas trop d’illusions à avoir car derrière cette grave sentence, ce qui va lui être servi est, en général, un plat de nouilles improvisé qui le laissera sur sa faim.
Ces tics de langage, en général suffisants et dérisoires, sont aujourd’hui si fréquents dans les discussions et surtout dans les débats des medias qu’on a raison de s’en inquiéter.
Que faut-il y voir ? Pas autre chose que le symptôme d’un manque cruel de maîtrise de l’art de la conversation dont la vocation première est d’en assurer le flux vertueux. Au lieu de quoi, nous produisons des tensions que l’on ne sait plus freiner et qui finissent par bloquer toute discussion.
Et puis dans cet exemple particulier, nous devrions nous interroger sur ce que cache ce graal affiché de la complexité qui, seul, conduirait à la vérité. De même, sur ce que cache cette défiance de la simplicité qui n’engendrerait que l’erreur.
Derrière ce voile, il n’y a pas seulement une fracture de plus en plus grande entre ceux qui savent ou croient savoir et la masse des ignorants qui n’auraient d’autre recours que leur bon sens. Il y a surtout une volonté de déconsidérer, avec désinvolture, l’esprit de simplicité qui, pourtant, cherche à rendre les choses plus claires et plus compréhensibles.
Nous savons grâce à Paul Nizan que « l’erreur est toujours moins simple que le vrai ».* Aussi, dans ce siècle de complexité sans mesure, il me semble urgent de réintégrer cette idée dans nos manières de converser. Simple à réaliser ? Pas sûr…
De l’intérêt de relire pour ouvrir de nouveaux horizons…*
Un ami me fait remarquer que dans « Le loup » de Jean-Marc Rochette, cette belle bande dessinée dont je me suis servi pour mes vœux en janvier 2023, il y a une deuxième histoire.
Intrigué, j’ai relu ce récit d’une guerre classique mais surprenante entre un loup et un berger, qui se termine par une paix ardemment conquise et sans doute improbable : c’est la première histoire.
Cet ami a raison, il y en a une deuxième et même d’autres – qui ont trait aux aspects économiques, historiques et anthropologiques – des histoires développées dans la postface écrite par Baptiste Morizot. Je rappelle qu’il est un philosophe ayant un attrait fort pour le monde du vivant.
Sous des angles différents cette postface raconte la distance que la modernité a installée entre le loup et le berger et en évoque les désastreuses conséquences.
Un exemple : cette guerre ancestrale entre le loup et le berger a toujours existé. Mais ce qui la rend aujourd’hui particulièrement anxiogène pour le berger, c’est qu’il ne sait plus gérer ses relations avec le loup. Il s’est en effet habitué à sa longue absence. Et, en couvant par trop ses brebis, il les a rendues peu habiles à résister, non seulement au loup mais aux dangers de la montagne. Elles n’ont plus la résistance de leurs ancêtres, les mouflons sauvages qui savaient se mouvoir sur des lieux accidentés. Par conséquent, elles sont devenues des proies faciles.
C’est l’un des thèmes soulevés par cette deuxième lecture qui dit clairement qu’avec le vivant, il ne peut y avoir de perdants et de gagnants sur un même territoire ; seul l’équilibre des intérêts de tous compte et le partager doit être une priorité. Il s’agit, nous rappelle Baptiste Morizot, d’enterrer les relations belliqueuses, d’oser ouvrir une ère de relations nouvelles, quitte à « bricoler des formes étranges de réciprocité et de cohabitation, des pactes concrets, qu’il faut inventer, expérimenter, jusqu’à ce que ça marche. »
Aussi, à l’heure où tant de menaces guerrières et environnementales nous guettent, ne devrions-nous pas nous inspirer d’un tel exemple ? Comme le monde du vivant l’exige, n’est-il pas temps de mobiliser notre imagination et nos capacités d’invention pour retisser des liens nouveaux capables de calmer les conflits ?
Mais une question se pose : sommes-nous suffisamment équipés pour relever un tel défi ? L’actualité démontre, hélas tous les jours, que tel n’est pas le cas…
Yves Maire du Poset
* un jour, un jour, c'est sûr, j’écrirai un papier sur les mille bonheurs de la relecture…
La crainte majeure de ceux qui s’accrochent à cette réforme est l’évolution de l’espérance de vie et, bien sûr, la question de son financement.
A l’époque de l’après-guerre, le système par répartition permettait, grâce aux actifs nombreux, de financer la retraite d’inactifs peu nombreux.
Mais nous vivons aujourd’hui plus longtemps. Ainsi, en imaginant que cette espérance de vie franchisse un jour les 100 ans…, nous risquons, en théorie, de nous retrouver en difficulté pour garantir une vieillesse heureuse à nos aînés. Et, si l’on poussait plus loin le bouchon, qu’en serait-il si nous ne mourrions plus… ? Y avez-vous songé ? Pour ce faire, je vous recommande la lecture du roman « Les intermittences de la mort » de José Saramago qui évoque un pays où l’on ne meurt plus. Au début, tout le monde se réjouit mais au bout de quelque temps, les conséquences sont telles que la raison reprend sa place : il vaut mieux se remettre à mourir… ! Un roman délicieux, désopilant et profond !
Bon, je vous égare (enfin, pas tant que ça...) ; aussi, je reviens à mon sujet : commençons par reconnaître que depuis 70 ans, nous sommes passés sans encombre de 4 actifs pour 1 inactif au lendemain de la guerre, à 1,7 actif pour 1 inactif aujourd’hui. Nous avons en effet cotisé plus afin de maintenir cet esprit de solidarité qu’exige la répartition. Ensuite, ajoutons que notre richesse s’est accrue : entre 1975 et 2021, le PIB a été multiplié par 10 et les cotisations sociales ont suivi.
C’est pourquoi, aujourd’hui, le fait de passer dans les années à venir à 1,2 actif pour 1 inactif, n’oblige nullement à en faire tout un plat.
Pourtant, nous dit-on, il faudrait impérativement faire l’effort de travailler plus longtemps, la quantité de travail fourni par chacun étant LE paramètre à considérer.
En apparence, un tel raisonnement semble logique. Mais il omet toutefois un élément majeur de la problématique : l’effacement global du travail humain depuis des décennies au profit de celui de la machine qui, elle, ne cotise pas...
L’effacement du travail humain au profit de celui de la machine…
Cet effacement, avec ses hordes de chômeurs, est bien la cause principale du déséquilibre du système par répartition.
« Mais Yves, « n’entends-tu pas que le chômage est au plus bas… ? Ah bon ? Dans ce cas, rafraîchissons-nous la mémoire… »
Pour me faire comprendre, voici quelques chiffres : en 1975, au moment où j’ai commencé à travailler, il y avait en France 670 000 chômeurs, soit 2,9 % de la population active. En 2021, il y a 2 500 000 chômeurs, soit 9, 5 % de la population active (en catégorie A, c’est-à-dire les demandeurs d’emploi sans emploi, qui n’ont pas du tout travaillé dans le mois précédent et qui sont tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi). Et, si l’on ajoute les 4 autres catégories (B,C,D,E) incroyablement déconsidérées à tel point qu’on oublie qu’il s’agit tout de même de chômeurs, on arrive à un chiffre proche de 6 millions de chômeurs (tous ceux inscrits à Pôle emploi).
Entre ces deux périodes, 1975 et aujourd’hui, que voit-on ? La population active a augmenté de 30 % et celle des chômeurs de 273 % (catégorie A) ; et de 790 % si l’on considère les 5 catégories confondues. Un chiffre auquel il conviendrait de rajouter tous les radiés récents estimés à 500 000 en 2022 et puis tous ceux qui, pour nombre de raisons dont tout le monde se fiche, sont sortis des radars statistiques.
De cette réalité, personne ne parle vraiment et les medias continuent de chanter à tue-tête que le chômage baisse (la catégorie A passant de 9 points à 8 ou 7 points, voire même à 6 points…). La vérité qui exige d’inclure tous les chômeurs est plutôt cauchemardesque : il y a en France 25 à 30 % de chômeurs !
Ce chiffre ne tombe pas du ciel. Il est le résultat d’un choix politique et économique qui a renoncé au travail humain, trouvant sans doute que la machine est plus efficace et plus facile à gérer (en d’autres termes, moins enquiquinante).
Le cotisant se faisant plus rare, nous avons donc affaire, aujourd’hui, à un problème, non de dépenses écrasantes à venir mais de recettes qui, pour une grande partie, ont disparu au fil du temps.
Politique de désindustrialisation, d’automatisation aveugle, de numérisation obsessionnelle, notamment des liens humains dont chacun commence (?) à en apprécier les méfaits (surtout là où la relation commerciale ou administrative est très utile, voire fructueuse sur le plan du simple « business », ce qui est un comble…). Bref, tout ceci a produit un « stock » de non cotisants, de fainéants diront même certains…
Question : et si on remettait tout ce petit monde au travail ? Un million d’entre eux suffirait amplement à remplir toutes les caisses de la Sécurité Sociale. Comment ? Par exemple en empruntant avec conviction et fermeté la voie de la transition écologique !
Une idée, parmi d’autres pour créer des emplois utiles
Voici donc une idée parmi d’autres pour répondre plus intelligemment à nos besoins les plus élémentaires : ne pensez-vous pas qu’il serait utile de remettre au goût du jour le travail de la main au lieu de celui, systématique mais inconséquent, de la machine, polluante, bruyante et si peu efficace, pour couper les arbres, tailler les haies, ramasser les feuilles, planter… Quand je vois ces employés communaux casqués s’acharner des jours entiers sur les feuilles avec d’infernales machines à souffler, je me demande toujours comment nous en sommes arrivés à tant de stupidité.
« Mais enfin, Yves, ta remarque est bien ringarde, de tels travaux ne peuvent pas intéresser les gens, ça coûterait beaucoup trop cher et puis, c’est anecdotique… Ah bon ? Le techno-futur, vous êtes sûr que c’est mieux ? Le travail bien fait, vous savez, celui qui demande du temps, de l’observation, de l’expérience et beaucoup de subtilité dans le doigté…, ce n’est pas assez digne pour les gens ? Et avoir des cotisants en plus, ce ne serait pas moins coûteux que d’indemniser des chômeurs tristes et isolés… ? Et puis 36 000 communes avec 3 employés en plus en moyenne pour œuvrer avec leurs muscles et leur intelligence dans les jardins municipaux, mais aussi pour créer des potagers afin de s’autoalimenter localement ; avec un maraîchage produit dans l’esprit de la permaculture, vous savez, cette manière de cultiver qui, avant tout, prend soin de la terre… Allez, à la louche, ça fait 100 000 emplois… vous trouvez que c’est anecdotique… ? »
« Oui mais Yves, tu vas créer des chômeurs parmi ceux qui fabriquent les machines à souffler les feuilles… Certes, hé bien ils n’auront qu’à aller s’inscrire à Pôle emploi Pékin ou Shanghaï ! »
Une évidence éclate : la Politique, assommée par le « tout techno-capitaliste », est à cours d’idées. Elle est comme privée de capacité de réflexion. La menace environnementale en est la preuve : des poules qui ont trouvé un couteau !
Voyez le cas des retraites : ce ne sont pas les dépenses à venir qui devraient nous faire peur, c’est plutôt le tarissement des recettes dues à la disqualification du travail humain qui, in fine, aboutit à son évincement. Franchement, avec tant d’exclus, comment voulez-vous que ça marche ? Comment voulez-vous que quelque équilibre social se fasse ?
De même, et c’est une autre option pour accroître les cotisations sociales, il conviendrait de réfléchir plus sérieusement à une véritable contribution à la valeur ajoutée produite par le travail effectuée par la machine, comme complément nécessaire de cotisation au régime de Sécurité Sociale. Quand dans votre supermarché, deux caissières sont supprimées et remplacées par des machines à encaisser, n’est-il pas normal de « faire cotiser » ces machines pour la retraite de ces caissières devenues chômeuses (ne serait-ce d’ailleurs que pour contribuer aux ressources de Pôle emploi qui devra les indemniser…) ?
Bref, en attendant que le nombre de chômeurs recule, taxons davantage la richesse produite par ce qui a remplacé le travail humain. Mais hélas, à l’heure où le gouvernement s’apprête à supprimer la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), autant faire l’escalade d’un mur sans aspérité et amplement savonné…
En conclusion…
« Une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale. » C’est ce que rappelle avec force Alain Supiot dans nombre de ses livres : tel est en effet le principe qui animait les déclarations solennelles des après-guerres, celle de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en 1919 et la Déclaration de Philadelphie en 1944. Toutes affirmaient la primauté de l’idée de justice sociale et de l’esprit de solidarité qu’elle engendre. Toutes ces déclarations avaient pour but de protéger le travail humain en le mettant à distance de l’emprise du marché.
Et contrairement à ce que l’on entend sur les ondes, ces déclarations solennelles ne rejetaient aucunement le marché mais aspiraient plutôt à un juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et la préservation de l’humain dans le travail. Ce n’est pas pour rien que ce principe a été repris dans la constitution de nombre de pays au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Dans cette affaire des retraites comme dans toutes ces tentatives de revenir sur ces « conquis » sociaux, il y a une menace qui ressemble fort à celle de l’après-guerre : à l’époque, le contexte dictait le nécessaire retissage des liens entre les Français, les générations, les classes sociales, les familles même...
Aujourd’hui, face aux extravagances techniques qui numérisent tout ce qui bouge en se fichant éperdument des liens humains qui se défont inexorablement, ne sommes-nous pas dans une situation comparable ? N’est-il pas temps de se remettre à réfléchir autrement, en réintégrant le travail humain et l’esprit de solidarité qu’il contient, au cœur même de la vertu républicaine ?
Cette réforme est dangereuse car elle ne répond pas aux vrais enjeux, ceux du long terme ; elle n’est pas non plus nécessaire car la situation financière n’est nullement catastrophique.
Une réforme qui ne répond pas aux vrais enjeux
Le danger d’une telle réforme est qu’elle va fragmenter un peu plus non seulement la famille mais la société dans son ensemble, sans jamais prendre en compte le contexte politique et « civilisationnel » qui est le nôtre. Voici pourquoi :
1 La réforme va frapper en particulier les sexagénaires qui ont à la fois besoin de temps pour s’occuper de leurs parents âgés et de disponibilité pour accueillir leurs petits-enfants. Si on les oblige à travailler plus longtemps, comment feront-ils ? Faut-il vraiment réduire encore nos liens familiaux et inciter ces sexagénaires à choisir plus rapidement l’EHPAD pour leurs parents et à renoncer à leur devoir de grands-parents ? Nos politiques n’ont visiblement pas intégré les conséquences de tels changements. A tel point qu’on se demande à partir de quelle réalité humaine ils prennent leurs décisions ? Que font-ils du temps des retraités consacré à la garde de leurs petits-enfants, soit près de 100 millions d’heures par mois ? Un chiffre auquel il faudrait ajouter le temps consacré à leurs vieux parents.
Allons-nous prêter une fois de plus le flanc à l’accélération de l’effritement de la famille, sans cesse pétrie par une machine économique qui n’en a que faire ?
2 Cette réforme va frapper de plein fouet les femmes. Ce point est très peu évoqué dans les medias. Voici un exemple :
Aujourd’hui, une femme née en 1968, qui a commencé à travailler à 23 ans et qui a élevé 2 enfants aura totalisé les 170 trimestres nécessaires pour partir avec une retraite à taux plein à l’âge de 61 ans et 6 mois (154 trimestres cotisés + 16 trimestres pour enfants). Elle devra cependant attendre 62 ans, l’âge légal pour demander sa retraite, soit travailler 6 mois de plus.
Avec la réforme prévue, cette même femme aura totalisé les 172 trimestres nécessaires pour partir avec une retraite à taux plein à l’âge de 62 ans (156 trimestres cotisés + 16 trimestres pour enfants). Mais elle devra attendre l’âge de 64 ans pour partir à la retraite. Il lui faudra donc travailler 2 années de plus.
Précisons qu’une femme, avec de semblables paramètres, ayant commencé à travailler plus tôt que dans cet exemple ci-dessus, et/ou ayant élevé plus que 2 enfants sera encore davantage pénalisée.
En fait, cette réforme est un véritable tour de passe-passe consistant à reprendre aux femmes ayant élevé des enfants une partie, voire la totalité des trimestres qui leur sont attribués pour cette raison. Rappelons que cette majoration dite « Maternité/Education » est une juste compensation faite aux femmes qui assurent en très grande partie la survie du système. Car est-il besoin de le rappeler, ce sont les femmes qui non seulement « font » les cotisants futurs mais qui, principalement, les torchent, les nourrissent, les éduquent… bref les élèvent jusqu’à l’âge adulte où le relais sera pris par ces nouveaux cotisants… !
Cet acharnement à scier la branche sur laquelle nous sommes assis serait presque comique s’il n’y avait pas derrière tout cela un aveuglement tragique.
Avec cette réforme, une chose est certaine : nous sommes gouvernés par des hommes peu concernés par le sort des femmes et des familles. Elle porte décidément un cynisme ahurissant.
3 Il faut dire aussi que maintenir un peu plus les sexagénaires « au boulot » va toucher un pan important de l’activité économique : le monde associatif. Faute de combattants (s’ils sont maintenus au travail), comment ce monde fera-t-il pour trouver les siens dont le vertueux bénévolat apporte tant de solutions à une société qui ne comptabilise jamais ses bienfaits ? Nos politiques n’ont visiblement pas intégré le nombre de retraités engagés dans ce monde associatif, estimé à l’équivalent de 100 000 emplois.
La réalité sociétale n’est décidément pas prise en compte. Est-ce une faiblesse d’analyse de nos décideurs ou la mauvaise intention d’alimenter le secteur privé qui se lèche les babines chaque fois que le secteur public est réduit, chaque fois qu’on atrophie les liens et les services gratuits ? Peut-être les deux… ?
Une situation qui, financièrement, n’est pas catastrophique
4 Les aspects financiers, pour peu qu’on s’y penche avec attention, montrent qu’il s’agit d’un sujet qui n’appelle pas de réforme mais plutôt des ajustements.
Les déficits à venir sont temporaires ; il s’agit des 15/20 prochaines années dit le COR (Conseil d’Orientation des Retraites). De plus, ils sont minimes comparés à la masse des pensions versées : environ 3 à 5 %. Or pour combler ces déficits, un faible supplément de cotisations suffit, surtout s’il est étendu au-delà des seuls actifs : par exemple, on pourrait associer les entreprises avec une infime partie de la richesse produite grâce aux gains de productivité. C'est après tout un juste retour de la mécanisation qui fait disparaître l’humain dans l’entreprise comme dans l’administration.
En vérité, seule la pression des paramètres de l’Union Européenne nous impose une telle réforme. Mais que sont-ils, ces paramètres, pour nous dire quel modèle la France doit promouvoir ? Ne devrions-nous pas plutôt être fiers d’un taux/PIB de 14% consacré à nos aînés ? Il ne faut jamais oublier qu’il s’agit de nos cotisations et que, contrairement à l’idée serinée par les medias selon laquelle nous devrions avoir honte en nous comparant aux autres, nous avons un système de retraites exemplaire. Du moins l’a-t-il été et l’est-il encore ; mais… demain ?
Etranges dilemmes politiques décidément entre une soi-disant raison économique et la réalité des situations…
Pour ma part, je ne vois dans une telle réforme des retraites que l’obstination de « chiffreux » qui agissent comme de bons soldats sans se rendre compte des réalités. Un peu comme des enfants contrariés que la colère rend aveugles et qui piétinent de rage… !